Bases du traitement des anomalies préopératoires de l’hémostase

Hémostase locale
du saignement et d’obtenir l’hémostase locale dans les délais les plus courts [58]. Selon les circonstances, il est possible d’utiliser : des moyens chirurgicaux : ligature, clampage, électrocoagulation, laser, embolisation artérielle ; la compression manuelle, ou à l’aide d’un ballonnet (sonde de Blakemore) ou d’un dispositif (sac de Mikulicz), ou d’une contention (moulage de l’arcade dentaire) ; des tampons hémostatiques principalement dans les cavités : gaze de cellulose (Surgicel), alginate de calcium (Coalgan), gélatine (Spongel), ou compresse imbibée de thrombine (Thrombase) ou de prothromboplastine (Hémostatique Ercé) ou de reptilase ou de collagène (Hémaflex) ; des colles biologiques (concentrés en facteurs de l’hémostase, aprotinine, thrombine) viroatténuées pour des applications locales (greffes, plasties, déchirures viscérales…) ; des vasoconstricteurs locaux : adrénaline, méthylergotamine, prostaglandine F2α.
Moyens substitutifs
Leur emploi est nécessaire quand la concentration d’un facteur est trop basse pour permettre une hémostase satisfaisante (tableau VI). Des fractions du sang plus ou moins spécifiques sont employées. Le résultat obtenu est fonction de la quantité transfusée, de la durée de vie des facteurs, de leur diffusion en dehors du compartiment vasculaire du receveur. Le rendement est de 30 à 50 % selon les facteurs.
L’unité d’un facteur est la quantité présente dans 1 ml de plasma frais normal contenant 100 % du facteur. Le calcul montre que pour élever le taux de 1 %, il faut administrer, compte tenu du rendement de 30 à 50 %, environ 1 unité de facteur par kg de poids du receveur. Toutefois, la correction d’un déficit important est souvent limitée par le volume à perfuser lorsqu’il n’existe pas de fraction concentrée pour ce facteur. La liste (tableau VI) recense les fractions du sang qui constituent la base du traitement. Elle n’est pas complète car certaines formes ne sont que des modalités d’un produit cité (plaquettes irradiées, plaquettes congelées, cytomégalovirus négatif, etc). D’autre part, cette liste est fréquemment modifiée par la mise sur le marché de nouvelles préparations.
Enfin, ces moyens substitutifs ont été exposés de façon complète dans d’autres chapitres du présent ouvrage (cf Produits sanguins, Encyclopédie médico-chirurgicale, Anesthésieréanimation, 36-730-A-10-A-20).
Des produits sont également disponibles pour le traitement des inhibiteurs d’un facteur. Ce traitement a pour but de court-circuiter, dans la cascade de l’hémostase, le facteur de la coagulation, cible de ces inhibiteurs : facteur VII activé, facteur VII activé recombinant (Novo), complexe prothrombinique sous forme partiellement activé (CPPA), PPSB spécial inhibiteur anti-facteur VIII, » factor eight inhibitor bypassing activity » (FEIBA), Autoplex, Acset. Par ailleurs, un facteur VIII recombinant (rFVIII) fait l’objet d’études cliniques pour déterminer son intérêt dans la prévention ou la diminution du risque de survenue d’un inhibiteur [63]. Enfin, des concentrés d’antithrombine III sont utilisés pour le traitement des CIVD [5, 60].
Hémostatiques d’action générale
Corticoïdes
Ils sont parfois utilisés parce qu’ils provoquent l’augmentation du taux de plaquettes et la diminution du taux d’anticorps dans les thrombopénies d’origine immune [32]. La dose est de 20 mg de méthylprednisolone en une seule injection. Leur efficacité dans les purpuras vasculaires n’est pas prouvée.
Protamine: Surtout utilisée pour la neutralisation de l’héparine après les circulations extracorporelles (CEC), elle est également employée pour des surdosages accidentels. 1 mg de protamine neutralise 100 unités anti-IIa d’héparine circulante, mais l’activité anti-Xa persiste plus longtemps. Ainsi, dans le cas d’une héparine de bas poids moléculaire (HBPM), bien que le risque de saignement soit supprimé, le dosage biologique peut témoigner d’une activité anti-Xa résiduelle [39]. La neutralisation par la protamine est dénuée, habituellement, d’effets secondaires importants. Toutefois, des manifestations graves de nature anaphylactoïde et des perturbations cardiovasculaires (hypertension artérielle pulmonaire, dème pulmonaire) sont parfois observées [48].
Vitamine K1: Elle permet une remontée rapide, mais provisoire, des taux de facteurs déficitaires (II, VII, IX et X) en cas d’avitaminose K ou d’accident hémorragique dû aux médicaments antivitamine K (AVK).Pour une hémorragie grave, elle est utilisée à la dose de 10 mg par voie intraveineuse lente (20 minutes environ). Dans le cas d’une baisse importante de ces facteurs sans hémorragie, il a été proposé d’utiliser la vitamine K1 à la dose très faible de 1 mg, pour éviter les fluctuations trop brutales dues à l’arrêt, puis à la reprise du traitement par les AVK [90].
Aprotinine
L’aprotinine est une sérine protéase qui inactive la plasmine, la kallicréine, la trypsine, la chymotrypsine, l’élastase et les peptidases leucocytaires. C’est l’activité antiplasmine qui est retenue pour diminuer les saignements opératoires. L’aprotinine préserve les capacités plaquettaires de l’action de la plasmine. En effet, la plasmine induit une réduction du nombre des récepteurs plaquettaires (GP 1b ou glycoprotéine 1b), ce qui diminue l’adhésion plaquettaire au sous-endothélium et augmente le saignement. Par ailleurs, la plasmine active les fonctions plaquettaires, ce qui entraîne une destruction prématurée du caillot. Ce mécanisme est le plus souvent invoqué pour expliquer les hémorragies qui surviennent au cours des CEC [59, 93, 94], mais il n’est pas exclusif [29, 75].
La chirurgie cardiaque avec CEC et la transplantation hépatique sont les indications les moins discutées [42, 61]. Pour la chirurgie cardiaque, le protocole admis est le suivant [9, 83] : après induction de l’anesthésie, le malade reçoit en perfusion intraveineuse, dans une solution glucosée ou salée, une dose de charge de 2 millions UIK (unité inhibitrice de kallicréine), soit 30 000 UIK/kg pendant 30 minutes, et la même dose est ajoutée dans le circuit de la CEC. Pendant l’intervention, 500 000 UIK (7 000 UIK/kg) sont injectées toutes les heures jusqu’à la fin de l’intervention. En raison du coût élevé du traitement, son usage est limité aux réinterventions de revascularisation du myocarde et au remplacement valvulaire [42], ainsi que pour les malades traités avant l’intervention par des antiagrégants plaquettaires [27]. Des essais utilisant des doses plus faibles sont en cours, pour éviter le risque supposé de thromboses dues ou associées à l’utilisation de fortes doses [50]. Actuellement, l’indication de ce traitement est étendue à la chirurgie vasculaire [36].
Pour la transplantation hépatique, le protocole est le même que pour la CEC, mais les apports ne sont arrêtés qu’après le retour en réanimation. Il faut de plus 50 000 à 70 000 UIK pour chaque culot globulaire transfusé [61]. Le risque thrombogène n’est pas prouvé, mais un syndrome de CIVD est une contreindication absolue à l’utilisation de l’aprotinine. Elle ne doit pas être administrée au cours du premier trimestre de la grossesse, car l’absence de risque embryotoxique n’est pas prouvée. Des réactions anaphylactiques [20] peuvent survenir en cas de nouvel emploi de ce médicament. Un test préalable (injection d’une dose de 5 ml, soit 50 000 UIK, quelques minutes avant la dose de charge) est recommandé.
Désamino 8-D-arginine vasopressine (DDAVP ou desmopressine ou Minirin)
Cette molécule est un analogue structural de l’hormone antidiurétique, la vasopressine.
Comme cette dernière, la desmopressine a un action rénale (réabsorption tubulaire de l’eau) et vasculaire (vasoconstriction et élévation de la pression artérielle).
Ces actions s’exercent par l’intermédiaire de deux types de récepteurs : V1 pour les cellules musculaires des vaisseaux et V2 pour les cellules tubulaires rénales distales et les cellules endothéliales des vaisseaux.
Mais la desmopressine agit de façon prépondérante sur les récepteurs V2 (3 000 fois plus active que sur les récepteurs V1).
Bien que ce mécanisme soit généralement admis, il paraît incomplet.En effet, des observations d’hypotension survenant après l’administration de ce médicament sont décrites [22, 51, 52], mais aucune des hypothèses formulées (existence d’autres types de récepteurs, compétition inhibitrice avec l’arginine vasopressine endogène, libération de prostaglandines) ne peut être retenue actuellement [7, 52]. Ce médicament agit sur l’hémostase primaire et sur la coagulation plasmatique en multipliant par trois les taux de facteurs von Willebrand (vWF) et VIII [62].Ces effets sont probablement obtenus par la libération de facteurs préformés et stockés dans les cellules endothéliales, car le délai d’action est très rapide et l’effet s’épuisesi l’administration du médicament est renouvelée plus de deux fois (tachyphylaxie). La desmopressine est employée dans la période périopératoire pour la maladie de von Willebrand de type 1 et pour l’hémophilie A modérée. Dans le cas des thrombopénies et des thrombopathies, principalement celles dues à des médicaments antiagrégants plaquettaires, l’efficacité est inconstante. Une dose de 0,3 à 0,4 g/kg est diluée dans 50 à 100 ml de soluté physiologique salé et perfusée par voie veineuse en 15 à 30 minutes avant l’intervention. L’utilisation systématique comme hémostatique dans la période préopératoire a été également proposée pour les interventions réputées hémorragiques. C’est le cas de la chirurgie cardiaque sous CEC, mais les résultats des études sont divergents et cette indication n’est pas formellement admise [25, 41, 76, 97]. Récemment [69], il a été proposé de réserver l’utilisation de la desmopressine aux malades ayant des anomalies fonctionnelles des plaquettes ou du fibrinogène immédiatement après la CEC, ces anomalies étant identifiées par l’amplitude maximale (Am) du thromboélastogramme.
Pour les interventions réglées, une épreuve thérapeutique préalable est exécutée. Elle consiste à vérifier, quelques jours avant l’intervention, que l’injection de cette dose de desmopressine élève de 2 à 3 fois le taux de base du facteur VIII ou du vWF. La maladie de von Willebrand de type 2-b est une contre-indication absolue (risque de thrombopénie). La prescription au cours de la grossesse n’est pas admise, pour le moment, en raison d’une expérience clinique insuffisante. Le risque de thrombose consécutif à l’administration du produit est discuté [11, 64, 73]. Il est prudent d’en tenir compte pour le sujet âgé, et en cas d’antécédent vasculaire connu, de thrombose en évolution, de traitement mal suivi par les antiagrégants plaquettaires. Des réactions d’hypersensibilité (céphalées, flush, douleurs abdominales) sont parfois observées, ainsi qu’une hypotension artérielle. Malgré l’absence théorique de surcharge hydrique, il faut contrôler les entrées et sorties, instituer une réduction hydrique jusqu’à la reprise de la diurèse et éventuellement employer des diurétiques. Ces précautions sont indispensables pour l’utilisation du médicament en pédiatrie.
Autres médicaments
D’autres médicaments tels que des extraits végétaux (Ercévit, Véliten), des strogènes (Prémarin, Ovestin), l’étamsylate (Dicynone) ont été utilisés. Mais leur efficacité n’a jamais été prouvée par des études comparatives. L’acide aminocaproïque (Hémocaprol) et l’acide tranexamique (Exalcyl), qui retardent la lyse des caillots, paraissent avoir un intérêt pour les hémorragies qui surviennent dans des cavités où les caillots sont en contact direct d’un liquide riche en activateurs de la fibrinolyse : ménométrorragies, ablation des végétations et des amygdales, extraction dentaire. Par ailleurs, l’acide tranexamique est aussi utilisé en chirurgie cardiaque avant une CEC [48]. Son efficacité sur le saignement paraît comparable à celle de l’aprotinine à faibles doses [21, 42, 50]. En revanche, ces médicaments ainsi que le venin de serpent (Reptilase) sont dangereux en cas de suspicion de CIVD.
Surveillance biologique du traitement
Il est préférable d’adresser ces examens au laboratoire spécialisé, si les délais d’acheminement sont courts. La surveillance porte sur les tests globaux de l’hémostase pour vérifier l’efficacité des moyens substitutifs employé. Elle est particulièrement recommandée en cas de transfusions massives, mais les résultats doivent être confrontés aux données cliniques avant toute modification du traitement car un saignement anormal n’est pas toujours observé malgré des tests biologiques perturbés [40, 77].