CONDUITE À TENIR EN CAS D’ANOMALIES DE L’HÉMOSTASE

Conduite à tenir au cours des troubles de l’hémostase primaire
Troubles d’origine vasculaire
Ces troubles sont peu fréquents et rarement dangereux. Ils sont presque toujours révélés par l’interrogatoire et l’examen clinique. L’exploration biologique est d’un intérêt réduit. En effet, le temps de saignement n’est pas allongé et la fragilité capillaire n’est pas toujours mise en évidence par le test du lacet. Ces troubles ont pour cause des atteintes primitives ou secondaires des vaisseaux [12, 78]. Le tableau VII les range selon leur fréquence. Qu’ils soient primitifs ou secondaires, ces troubles, souvent évidents, sont traités avant l’intervention, mais des précautions sont indispensables pour rendre l’hémostase locale la plus parfaite possible. Lorsqu’il s’agit de causes médicamenteuses, l’arrêt provisoire du traitement doit être discuté.
Atteintes primitives
Le purpura simplex et le purpura sénile ne requièrent aucune préparation particulière du malade.
La maladie de Rendu-Osler est une maladie rare, de transmission autosomique. La mise en évidence avant l’intervention peut être difficile parce que les antécédents familiaux évocateurs sont absents dans 20 à 30 % des cas et que l’expression de la maladie est latente durant les 2 ou 3 premières décennies de la vie. Elle est la cause d’hémorragies importantes des muqueuses (épistaxis, hématémèse) qui nécessitent parfois le recours à des transfusions. Les traitements par les strogènes ou le danazol ne sont pas toujours efficaces [79]. La précaution essentielle est l’assurance d’une hémostase locale parfaite (compression par tampons ou ballonnets, bistouri électrique, laser). L’acide aminocaproïque par voie parentérale ou orale permettrait le contrôle des saignements [84]. La surveillance de ces malades doit être rigoureuse en raison de l’existence de malformations artérioveineuses pulmonaires, présentes dans 15 % des cas, mais le plus souvent asymptomatiques.
Le syndrome de Kasabach-Merrit, hémangiome pseudo-inflammatoire associé à une thrombopénie, est traité par l’ablation chirurgicale chaque fois que la tumeur est accessible. Mais pour prévenir l’activation des plaquettes et des facteurs de la coagulation sur une paroi vasculaire anormale, ainsi que le risque d’une CIVD qui en découle, les antiagrégants plaquettaires sont conseillés. Le syndrome d’Ehlers-Danlos, dû à une anomalie congénitale du tissu conjonctif, comporte dans sa forme sévère des risques hémorragiques. Les complications obstétricales sont graves car la rupture prématurée des membranes entraîne l’avortement spontané et des hémorragies du post-partum, dont le seul traitement est la compensation des pertes. Les techniques de l’hémostase locale (compresses, tampons hémostatiques) sont utilisées lorsque la plaie est accessible.
Atteintes secondaires
Habituellement, l’atteinte porte non seulement sur les vaisseaux, mais aussi sur les plaquettes (purpura infectieux, purpura dysglobulinique). Il n’existe pas d’autre traitement que celui de la cause.
Troubles d’origine plaquettaire: Les thrombopénies sont révélées ou confirmées grâce à l’exploration biologique préopératoire. Au contraire, les thrombopathies qui sont parfois dépistées par une anomalie du temps de saignement et de la rétraction du caillot, ne sont affirmées et identifiées qu’au moyen de tests spéciaux tels que l’étude de l’agrégation des plaquettes par divers agents.
Thrombopénies
Le risque hémorragique d’une intervention chirurgicale est à craindre pour des taux de plaquettes inférieurs à 50 G/l, mais, même pour des taux plus bas, l’hémorragie ne survient pas toujours. Ainsi, les thrombopénies dont la cause est médullaire ont, pour un me taux de plaquettes, un risque hémorragique plus grand que les thrombopénies dites périphériques. Par ailleurs, la transfusion de plaquettes n’est utile que si ces dernières ne sont pas détruites trop rapidement dans la circulation. Il faut donc opposer les thrombopénies par diminution de la production médullaire, pour lesquelles le traitement substitutif est justifié, aux thrombopénies par destruction excessive, pour lesquelles la conduite à tenir est différente selon que le mécanisme en cause est immunologique ou non.Cependant, le mécanisme ne peut être précisé dans des circonstances telles que le cancer [8].
Thrombopénies de cause immunologique
Thrombopénies médicamenteuses
L’imputabilité d’un médicament est souvent difficile à prouver. Sa mise en cause n’est que soupçonnée (tableau II), mais ce soupçon peut suffire à justifier l’arrêt du traitement. C’est le cas des thrombopénies induites par les héparines, malgré la difficulté d’interrompre le traitement.
Purpura auto-immun thrombopénique
Il est connu sous deux modalités : aigu, principalement chez l’enfant, il fait suite à une infection virale et disparaît avec la cause en 4 semaines environ ; l’efficacité d’un traitement par une corticothérapie à la dose de 2 mg/kg / j de méthylprednisolone n’est pas définitivement prouvée ; chronique, fréquent chez l’adulte jeune, il est aussi traité par des corticoïdes ; la dose de méthylprednisolone habituellement utilisée est de 2 mg/kg/j, mais des doses beaucoup plus importantes ont été récemment proposées [1, 96] ; les immunosuppresseurs et les plasmaphérèses sont également utilisés. Dans les deux modalités, de fortes doses d’immunoglobulines sont efficaces [24, 96]. En cas d’échec du traitement médical, il peut être indiqué de pratiquer une splénectomie, efficace dans plus de 75 % des cas de purpura thrombopénique idiopathique (PTI) ; c’est le plus souvent à l’occasion de cet acte chirurgical que les anesthésistes interviennent au cours de cette affection.
Thrombopénies néonatales
Elles sont parfois d’origine immune. Elles sont soupçonnées pendant la vie foetale par des signes échographiques ou surviennent spontanément à la naissance ou dans les premières heures qui suivent l’accouchement.
Elles sont causées soit par une immunisation passive transmise par la mère malade (lupus érythémateux disséminé, purpura thrombopénique idiopathique), soit par une allo-immunisation par une incompatibilité ftomaternelle dans le système des groupes plaquettaires. Le risque d’hémorragies méningées ou cérébroméningées est important au moment de l’accouchement. Si l’affection de la mère est connue, il faut la traiter pendant les 10 derniers jours de la grossesse par des corticoïdes et des immunoglobulines. En cas de thrombopénie du foetus à la 37e semaine, une transfusion de plaquettes HPA1 négatif dans la veine ombilicale est nécessaire avant le début du travail. Les indications de la césarienne sont élargies pour éviter l’extraction par forceps ou un travail trop long. Si le taux de plaquettes du nouveau-né est très bas, un apport de plaquettes du groupe HPA1 négatif est indispensable. La guérison est la règle en 8 jours puisque le nouveau-né ne reçoit plus l’anticorps de la mère.
Thrombopénies post-transfusionnelles par iso-immunisation
Elles surviennent chez des sujets polytransfusés ou chez des multipares. Un purpura posttransfusionnel survient 5 à 10 jours après la transfusion, parfois le lendemain. La fréquence de cette complication est probablement sous-estimée en raison des difficultés pour prouver sa nature immune par des tests biologiques [34]. Sa prévention est difficile et elle nécessite la consultation d’un spécialiste pour le choix des produits à transfuser. Son traitement est fondé sur des exsanguinotransfusions, des échanges plasmatiques de grand volume (3 à 41) par plasmaphérèse, mais l’efficacité n’est pas toujours acquise. La corticothérapie est utilisée comme adjuvant à la dose de 20 mg de méthylprednisolone en bolus. La prévention des récidives impose, si une transfusion d’hématies est nécessaire, qu’elle soit rigoureusement déplaquettée.
Thrombopénies de cause non immunologique
Lorsque le taux de plaquettes est inférieur à 20 G/l, le traitement substitutif par des concentrés plaquettaires est recommandé, afin de maintenir le taux de plaquettes audessus de cette valeur. Cependant, la conduite à tenir dépend surtout de leur cause. Ainsi, les thrombopénies d’origine infectieuse, qui sont fréquentes, n’ont pas d’autre traitement que celui de l’infection.
Les purpuras thrombotiques thrombocytopéniques (syndrome de Moschcowitz, syndrome de Gasser ou urémique-hémolytique) sont améliorés par des exsanguinotransfusions et des plasmaphérèses.
Les antiagrégants plaquettaires et les immunoglobulines sont parfois associés aux autres traitements [98]. Pour les thrombopénies dues à une agrégation plaquettaire sur des circuits artificiels au cours des hémodialyses ou des hémofiltrations, des antiagrégants plaquettaires sont utilisés par voie générale ou directement [53]. Au contraire, il n’existe aucun traitement spécifique pour les thrombopénies constitutionnelles comme la maladie de May-Hegglin (dont les manifestations hémorragiques sont discrètes) ou le syndrome de Wiskott-Aldrich (qui associe un eczéma, des infections et des épisodes hémorragiques). C’est aussi le cas des thrombopénies par trouble de la répartition des plaquettes (hypersplénisme). Enfin, les thrombopénies par carence aiguë en folates, observées après des infections sévères et des interventions chirurgicales importantes, sont corrigées en 5 jours par l’injection intraveineuse d’acide folique à la dose de 10 à 15 mg/j.
Thrombopathies
Thrombopathies congénitales: thrombocytaire hémorragipare et la thrombasthénie de Glanzmann dont les manifestations hémorragiques sont importantes, ainsi que par la maladie du pool vide, dont la discrétion du syndrome hémorragique peut faire méconnaître l’affection. Elles sont traitées par des transfusions de plaquettes. Toutefois, pour des interventions mineures, l’utilisation de la desmopressine est proposée selon un protocole exposé précédemment. Il semble que l’efficacité soit parfois obtenue au cours du syndrome de Bernard et Soulier, alors que le traitement est inefficace dans la thrombasthénie de Glanzmann et dans la maladie du pool vide [28, 54, 62].
Thrombopathies acquise
Elles sont dues à une hémopathie (leucémie aiguë ou chronique), à un syndrome myéloprolifératif et, le plus souvent [31], à un médicament qui doit être supprimé. Cependant, la restauration totale des fonctions plaquettaires est rarement obtenue avant 4 jours. Pour une intervention avec CEC chez un malade traité par de l’aspirine, l’emploi de l’aprotinine et/ou de la desmopressine permet de diminuer le risque hémorragique [27, 45, 76]. Pour une intervention urgente chez un malade insuffisant rénal ou qui prend de l’aspirine, la desmopressine est quelquefois employée, mais l’efficacité est discutée [37, 57].
Son utilisation est déconseillée pour les malades qui reçoivent de la ticlopidine à cause du risque thrombogène supplémentaire que la desmopressine est supposée faire courir [64, 73]. Si le risque hémorragique est important, l’apport d’unités plaquettaires est préférable. Si cette thrombopathie accompagne une autre affection (myélome, insuffisance rénale), elle est provoquée par un facteur plasmatique et non plaquettaire et s’améliore par le traitement de la cause (épuration extrarénale, plasmaphérèse, suppression des perfusions de grosses molécules).
Thrombocytémies et thrombocytoses: Au cours des thrombocytémies primitives, des hémorragies sont observées (épistaxis, hématémèse, melaena, hématurie, hémoptysie et ménorragie), mais rarement des purpuras. Ces hémorragies sont spontanées ou provoquées. Elles sont dues à des anomalies fonctionnelles des plaquettes. La décision de l’interruption du traitement par la chimiothérapie ou le phosphore radioactif relève de l’hématologue. Au contraire, les thrombocytoses secondaires, généralement associées à un processus inflammatoire, provoquent des thromboses, et un traitement par des anticoagulants ou des antiagrégants plaquettaires est justifié.