Conduite à tenir devant la découverte d’une IRA

La conduite à tenir devant la découverte d’une IRA peut se décomposer en cinq questions.
1. Quel est le retentissement de l’IRA ? 2. L’insuffisance rénale est-elle organique ou fonctionnelle ? 3. Existait-il une insuffisance rénale antérieure ? 4. Y a-t-il un obstacle sur les voies excrétrices ? 5. Quelle est la cause de l’IRA, lorsqu’il s’agit d’une atteinte parenchymateuse ? |
QUEL EST LE RETENTISSEMENT DE L’IRA ?
Hyperkaliémie
Le risque vital immédiat de l’IRA est en rapport avec la survenue d’une hyperkaliémie qui peut entraîner des troubles de conduction intramyocardiques. Elle est due à la diminution ou à l’arrêt de l’excrétion rénale du potassium. Elle est plus marquée si l’insuffisance rénale est anurique. Elle est aggravée par l’hypercatabolisme et les facteurs de transfert du potassium vers le milieu extracellulaire : acidose métabolique, syndrome de lyse tumorale, rhabdomyolyse. L’électrocardiogramme (ECG) est indispensable et permet d’apprécier le retentissement de l’hyperkaliémie. La gravité de l’hyperkaliémie est plus liée à la rapidité de son installation qu’à sa valeur absolue. Cependant, une kaliémie supérieure à 7 mmol/L est le plus souvent une indication à l’épuration extrarénale.
Acidose métabolique
Il s’agit d’une acidose métabolique avec un trou anionique augmenté. Elle est liée à la rétention d’acides organiques et minéraux. L’acidose métabolique peut être majorée par des facteurs en rapport avec la cause de l’IRA : acidose lactique en cas de défaillance circulatoire associée ; acidose toxique comme au cours d’une intoxication à l’éthylène glycol ; acidose tubulaire en cas d’IRA obstructive ; acidose hyperchlorémique par perte digestive de bicarbonates lors d’une diarrhée aiguë.
Hyperhydratation
Elle s’observe au cours des IRA anuriques ou oliguriques. Elle est favorisée par des apports liquidiens importants, surtout s’ils sont riches en sel (perfusions de bicarbonate, ou de chlorure de sodium).
Elle est souvent associée à une hyponatrémie. Elle peut se compliquer d’oedème aigu pulmonaire ou d’épanchements séreux pleuraux ou péricardiques.
Troubles de l’hémostase
Il existe au cours de l’IRA une thrombopathie responsable d’un allongement du temps de saignement. En dehors de facteurs étiologiques particuliers, les autres tests de la coagulation sont normaux au cours de l’IRA. Cette thrombopathie est liée à la production de facteurs antiagrégants plaquettaires (prostacycline) et à la diminution de facteurs proagrégants plaquettaires (thromboxane, ADP). Elle augmente le risque hémorragique en cas d’intervention chirurgicale ou de gestes invasifs (cathétérisme). Elle est limitée quand l’hématocrite est supérieur à 30 %. En cas de nécessité, l’administration de desmopressine permet de raccourcir le temps de saignement. Au cours de l’insuffisance rénale aiguë, l’utilisation d’héparines de bas poids moléculaire doit être prudente, limitée dans le temps et surveillée (dosage de l’activité anti-Xa).
Accumulation des déchets azotés
Elle est la conséquence directe de la baisse de la filtration glomérulaire.
Les conséquences de l’accumulation des déchets azotés ne s’observent qu’en cas d’urée très élevée > 50 mmol/L : hémorragie digestive, altération de la conscience en rapport avec l’hyperosmolarité. Une étude ancienne [46] avait montré que la fréquence des hémorragies digestives était réduite si la dialyse était indiquée pour des chiffres d’urée inférieurs à 35 mmol/L.
Anémie
La baisse de l’hémoglobine en rapport avec le déficit en érythropoïétine due à l’insuffisance rénale aiguë est retardée (1 à 2 semaines). Au cours de l’IRA, l’anémie est souvent en rapport avec la cause (hémolyse, syndrome inflammatoire). Elle est également favorisée par les saignements occultes induits par les troubles de coagulation de l’IRA.
Hypocalcémie et hyperphosphorémie
L’hypocalcémie est absente à la phase initiale de l’IRA, et reste modérée en dehors de trois situations : rhabdomyolyse, intoxication à l’éthylène glycol et pancréatite aiguë avec défaillance multiviscérale. L’hyperphosphorémie est le plus souvent modérée sauf en cas de rhabdomyolyse ou de syndrome de lyse tumorale.
L’IRA EST-ELLE ORGANIQUE OU FONCTIONNELLE ?
L’insuffisance rénale fonctionnelle (ou prérénale) est induite par tous les facteurs qui diminuent la perfusion rénale. Elle peut être la conséquence d’une hypovolémie vraie, d’une hypovolémie efficace, d’une hypotension ou d’une cause iatrogène (tableau I). Elle représente 50 % des IRA [52]. Il s’agit d’une insuffisance rénale d’origine hémodynamique due à un défaut de perfusion du rein, à l’origine de la diminution du débit de filtration glomérulaire (DFG).
La correction rapide de l’hypovolémie fait régresser l’insuffisance rénale. À l’inverse, si cette hypoperfusion rénale se prolonge ou devient sévère, cela conduit à l’ischémie médullaire rénale qui ellemême entraîne la nécrose tubulaire aiguë.
Physiopathologie de l’insuffisance rénale fonctionnelle [12, 27, 49]
En réponse à la diminution de la perfusion rénale, l’adaptation du rein résulte en une diminution des résistances artériolaires afférentes et une augmentation des résistances artériolaires efférentes, maintenant ainsi une stabilité de la pression dans le capillaire glomérulaire (PcG). Plusieurs réponses neurohormonales sont impliquées dans cette autorégulation. Il existe une réabsorption accrue de NaCl, d’eau et d’urée au niveau tubulaire. Ceci explique le tableau biologique des insuffisances rénales fonctionnelles, qui associe une urine concentrée et une augmentation plus nette de l’urée plasmatique par rapport à la créatinine. Les mécanismes d’autorégulation sont limités en cas d’hypotension artérielle prolongée ou inférieure à 80 mmHg, d’une athérosclérose diffuse ou chez les personnes âgées. Certains médicaments peuvent s’opposer aux phénomènes d’adaptation et peuvent être une cause d’IRA prérénale. C’est le cas des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) qui s’opposent à la vasoconstriction de l’artériole efférente. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) inhibent la synthèse des prostaglandines, empêchant ainsi la vasodilatation de l’artériole afférente.
Diagnostic de l’insuffisance rénale fonctionnelle
Les éléments qui permettent de reconnaître une IRA fonctionnelle sont les suivants : contexte d’hypovolémie (troubles digestifs : diarrhée, vomissements, troisième secteur, lésions cutanées étendues) ; signes cliniques de déshydratation extracellulaire. Des éléments biologiques sont évocateurs (tableau II) : signes d’hémoconcentration, élévation de l’urée supérieure à celle de la créatininémie, élimination uréique urinaire élevée avec un rapport entre l’urée urinaire et l’urée plasmatique supérieur à 10, sodium urinaire bas avec Na/K urinaire < 1. Parfois, l’hypovolémie est en rapport avec des pertes rénales hydrosodées (tubulopathies avec perte de sel), ou des hypovolémies relatives (insuffisance cardiaque,cirrhose ou syndrome néphrotique).
Tableau I. – Causes des insuffisances rénales aiguës (IRA) fonctionnelles. |
Hypovolémie vraie
• Hémorragie • Déshydratation • Brûlures et coup de chaleur • Pertes digestives : diarrhée vomissements occlusion fistules digestives drainage chirurgical • Pertes rénales : diurétiques mannitol insuffisance surrénalienne diabète sucré diabète néphrogénique hypercalcémie néphropathies interstitielles polykystose rénale reprise de diurèse après correction d’une IRA et levée d’obstacle Hypovolémie relative • Hypoalbuminémie : syndrome néphrotique insuffisance hépatocellulaire dénutrition • Séquestration extravasculaire des liquides : péritonite ascite iléus brûlures pancréatite aiguë Hypoperfusion rénale • Origine cardiaque : insuffisance cardiaque infarctus troubles du rythme tamponnade défaillance valvulaire embolie pulmonaire hypertension artérielle pulmonaire • Vasoplégie : sepsis choc anaphylactique hypotenseurs produits anesthésiques • Thrombose et embolie des artères rénales Origine iatrogène • Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) • Inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC) • Antagonistes des récepteurs de l’angiotensine-II (ARA-II) • Drogues vasculotropes : noradrénaline adrénaline • Anticalcineurines : ciclosporine tacrolimus • Médicaments hypotenseurs • Amphotéricine B • Produits de contraste iodés |
EXISTAIT-IL UNE IR ANTÉRIEURE ?
Devant la découverte de chiffres de créatininémie et d’urée élevés, trois éléments sont en faveur d’une insuffisance rénale chronique : l’anémie, l’hypocalcémie et les petits reins en échographie.
Cependant, l’anémie peut être en rapport avec la cause de l’IRA.
L’hypocalcémie peut être observée au cours d’une IRA en cas de rhabdomyolyse ou d’intoxication à l’éthylène glycol. Il existe des insuffisances rénales chroniques au cours desquelles les reins ne sont pas petits : amylose, polykystose, diabète ou cirrhose. L’existence de reins de taille normale en échographie avec un index cortical conservé plaide contre l’existence d’une insuffisance rénale antérieure. En cas d’insuffisance rénale chronique, l’aggravation brutale de l’insuffisance rénale pose les mêmes problèmes qu’une IRA.
EXISTE-T-IL UN OBSTACLE SUR LES VOIES EXCRÉTRICES ?
Les IRA postrénales ou obstructives représentent selon les auteurs de 5 à 25% des IRA. L’obstacle peut être uni- ou bilatéral, total ou partiel. Les formes qui se compliquent d’une insuffisance rénale aiguë anurique correspondent à des obstacles bilatéraux, ou à des obstructions sur rein unique anatomique ou fonctionnel. L’anurieest initialement d’origine obstructive donc mécanique, mais la persistance de l’obstruction peut être responsable de lésions parenchymateuses tubulo-interstitielles associées.
Dans certaines formes cliniques d’atteinte rénale obstructive, la créatininémie peut être initialement normale. Dans d’autres situations paucisymptomatiques, le diagnostic peut n’être révélé qu’au stade d’une insuffisance rénale chronique parfois avancée.
Physiopathologie [45]
La présence d’un obstacle des voies urinaires est responsable d’une augmentation des pressions urétérale et pyélocalicielle alors que persiste initialement une filtration glomérulaire normale, d’où la dilatation des voies urinaires, détectable par l’échographie. Cette hyperpression se transmet ensuite vers le tube proximal, jusqu’à s’opposer à la pression de filtration glomérulaire. Secondairement, l’hyperpression intratubulaire est responsable de modifications hémodynamiques glomérulaires avec vasoconstriction de l’artériole afférente, diminuant ainsi le débit sanguin glomérulaire et donc la filtration glomérulaire. Par ailleurs, l’agression tubulaire est responsable de la synthèse de cytokines inflammatoires à l’origine d’un infiltrat inflammatoire majorant les lésions tubulaires. Ceci sous-entend qu’il peut apparaître des lésions tubulaires ischémiques et inflammatoires à l’origine d’une dysfonction tubulaire qui peut être définitive si le processus obstructif perdure.
Signes cliniques, étiologie et conduite à tenir
Les causes de l’obstruction des voies urinaires sont multiples et peuvent concerner tout l’arbre urologique (tableau III). Les circonstances de découverte sont variables et dépendent du terrain et de l’étiologie. L’obstruction des voies urinaires peut être révélée par les signes cliniques en rapport avec l’obstruction ou lors de l’enquête étiologique d’une IRA.
Tableau clinique
Le tableau clinique est souvent évocateur, avec la survenue d’une douleur lombaire typique (colique néphrétique) ou de douleurs abdominales atypiques, précédées ou s’accompagnant d’une oligoanurie. Mais la douleur est parfois absente. D’autres signes peuvent orienter vers un obstacle : hématurie, brûlures mictionnelles ou dysurie. Les obstacles sous-vésicaux peuvent s’accompagner d’un globe vésical avec mictions par regorgement. Les touchers pelviens recherchent un obstacle prostatique, une masse pelvienne ou une carcinose d’origine rectosigmoïdienne ou utérine. L’augmentation de la taille des reins peut être perçue à l’examen clinique. Parfois, le contexte clinique (néoplasie pelvienne ou des voies urinaires connue, traumatisme abdominopelvien, contexte postopératoire, maladie lithiasique) oriente d’emblée le diagnostic. Une septicémie à point de départ urinaire peut compliquer et/ou révéler un obstacle sur les voies urinaires.
Examens complémentaires
Le cliché d’abdomen sans préparation peut révéler la présence de calculs radio-opaques. L’échographie abdominale confirme le plus souvent l’obstacle en montrant une dilatation des cavités pyélocalicielles.Elle peut également orienter vers son origine et sa localisation.Cependant la dilatation des cavités pyélocalicielles peut manquer (obstacle vu au début, fibroses rétropéritonéales).
La tomodensitométrie voire l’imagerie par résonance magnétique (IRM) permettent de préciser la nature de l’obstacle (tumeur rétropéritonéale, urologique ou pelvienne, fibrose rétropéritonéale, adénopathies, lithiase). En cas d’IRA, l’urographie intraveineuse a peu d’intérêt car l’iode est mal fixé par les reins. Cependant des clichés tardifs après la réalisation du scanner peuvent être utiles.
Dans certains cas, la nature ou le siège de l’obstacle ne sont visualisés que par une urétropyélographie rétrograde réalisée avant une montée de sonde ou par pyélo-urétérographie descendante réalisée lors de la néphrostomie percutanée.
Thérapeutique
La thérapeutique consiste à dériver les urines en urgence. La technique utilisée dépend de la nature et du siège de l’obstacle. En cas d’obstacle urétral, sont réalisés soit un sondage vésical soit une cystostomie percutanée si une origine infectieuse (prostatite ou urétrite) ou traumatique urétrale est suspectée. Dans d’autres cas, les possibilités de dérivation des urines sont discutées en fonction des causes (montée de sonde urétérale guidée par cystoscopie permettant de contourner l’obstacle, néphrostomie percutanée ou chirurgicale).
La dérivation des urines peut se compliquer d’un syndrome de levée d’obstacle. Celui-ci est dû à une dysfonction tubulaire avec incapacité de concentration des urines.Il est responsable d’une polyurie parfois très importante quipeuts’accompagner d’hypovolémie, d’hypokaliémie majeure, d’hypomagnésémie et d’hyponatrémie. Il doit être prévenu par la surveillance horaire de la diurèse lors de la levée de l’obstacle, et par la compensation des pertes urinaires avec du soluté salé isotonique. La compensation est débutée à 75 % des pertes, et doit être diminuée progressivement pour éviter l’entretien de la polyurie. Les apports potassiques sont adaptés à la surveillance régulière de la kaliémie.
Autres thérapeutiques
Une antibiothérapie doit être instituée en cas d’infection des voies urinaires associée. Les corticoïdes (en l’absence d’infection) sont souvent indiqués dans les obstacles d’origine tumorale.
QUELLE EST LA CAUSE DE L’IRA, LORSQU’IL S’AGIT D’UNE ATTEINTE PARENCHYMATEUSE ?
L’IRA est la conséquence d’une atteinte du parenchyme rénal. Elle correspond à 30 % des IRA. Toutes les structures du tissu rénal peuvent être concernées : les tubes, le glomérule, l’interstitium et les vaisseaux. Plusieurs de ces structures peuvent être atteintes simultanément au cours d’une IRA organique.
Nécrose tubulaire aiguë
La nécrose tubulaire aiguë (NTA) est la cause la plus fréquente d’IRA en réanimation.
Elle représente 70 à 75 % des cas d’insuffisance rénale aiguë organique. Elle fait suite à une agression hémodynamique ou toxique. Elle est souvent précédée d’une insuffisance rénale fonctionnelle, et il existe un continuum entre insuffisance rénale fonctionnelle et NTA. La correction des troubles hémodynamiques est essentielle pour sa prévention. Après une NTA, habituellement la fonction rénale se normalise en 1 à 4 semaines, mais une insuffisance rénale chronique séquellaire peut persister si l’agression épithéliale se prolonge ou en cas de facteurs aggravants associés.
Physiopathologie des NTA
Les modifications histologiques sont communes aux NTA, qu’elles soient d’origine ischémique ou toxique [64]. À la suite de l’agression des cellules tubulaires rénales, il existe une accumulation de cellules et de débris tubulaires dans la lumière des tubes. Ceci entraîne une obstruction tubulaire responsable d’une augmentation de la pression intratubulaire, et une rétrodiffusion du filtrat glomérulaire à travers la paroi lésée.
NTA d’origine ischémique [11, 35]
C’est la cause la plus fréquente des NTA. Elle est souvent la conséquence d’une insuffisance rénale fonctionnelle avec dépassement des mécanismes d’adaptation. Les facteurs favorisant l’ischémie rénale sont résumés dans le tableau IV. On peut distinguer trois phases dans le déroulement de la NTA ischémique : les modifications hémodynamiques, les lésions cellulaires et tubulaires, la régénération.
– Modifications hémodynamiques.
À la phase initiale de la NTA, il existe une diminution du flux sanguin rénal (FSR) de plus de 50 %. La vasoconstriction intrarénale qui s’ensuit et l’augmentation des résistances artériolaires dépassent les mécanismes d’autorégulation du rein à l’origine de l’effondrement de la pression d’ultrafiltration. L’hypoxie de la médullaire externe a un rôle déterminant dans le maintien des lésions de NTA [35]. La vascularisation à contre-courant dans cette partie du rein (vasa recta) est à l’origine de la faible pression enoxygène par rapport au reste du parenchyme rénal, d’où la sensibilité accrue de cette zone à l’hypoxie. La persistance de l’hypoxie médullaire est entretenue par deux mécanismes conjoints [58] :
congestion vasculaire médullaire et vasoconstriction intrarénale :
– la congestion vasculaire de la médullaire est responsable d’une souffrance tissulaire ischémique entraînant la libération d’unegrande quantité de cytokines, et de l’activation du système du complément avec formation locale de C5a. Ceci est responsable de l’activation des polynucléaires neutrophiles, de leur afflux dans les vaisseaux de la médullaire et de leur adhésion à l’endothélium vasculaire par l’intermédiaire de molécules d’adhésion.
Après l’adhésion à l’endothélium, les neutrophiles infiltrent le tissu ischémique par extravasation, avant de libérer de leur cytoplasme des radicaux libres oxygénés, des protéases, des élastases, de la myéloperoxydase, du leucotriène, le facteur activateur des plaquettes (PAF) et d’autres enzymes.Ces substances sont capables d’endommager les tissus, d’augmenter la perméabilité vasculaire et de favoriser l’expression des molécules d’adhésion à leur surface, majorant ainsi la réaction inflammatoire ;
– la vasoconstriction intrarénale est médiée par des altérations d’origine endothéliale. L’ischémie entraîne un déséquilibre entre la production d’endothéline-1 (ET-1) et de NO en faveur de l’endothéline responsable d’une vasoconstriction importante.
Celle-ci peut persister malgré le rétablissement d’un flux sanguin rénal normal [39]. La diminution de synthèse du NO a également été notée lors des pigmenturies (myoglobine, hémoglobine) et au cours des traitements par anticalcineurines. Par ailleurs, l’arrivée dans le tube distal d’importantes quantités de NaCl, non réabsorbées au niveau du tube proximal par les cellules nécrosées, est responsable d’une vasoconstriction de l’artériole afférente par stimulation de la macula densa.Ce rétrocontrôle
négatif tubuloglomérulaire peut aggraver la baisse de la filtration glomérulaire.
– Lésions cellulaires et tubulaires.
L’hypoxie est responsable de profondes modifications ultrastructurales membranaires et cytosquelettiques au niveau des cellules épithéliales tubulaires, constatées en microscopie électronique [59], aboutissant à la mort cellulaire. L’ischémie entraîne la ballonnisation des cellules épithéliales et la perte de leur bordure en brosse. Ces modifications sont associées à une perte de la polarité cellulaire et de l’intégrité des jonctions serrées intercellulaires.
De plus, il existe une modification des protéines membranaires avec redistribution vers la partie apicale des pompes Na-K-ATPase,modifiant ainsi l’équilibre des transports des solutés. De même, les protéines d’attache des cellules à la membrane basale tubulaire, les intégrines, sont retrouvées au pôle apical. Ces événements sont responsables du détachement des cellules de leur matrice, qui viennent obstruer la lumière tubulaire. Les cylindres cellulaires formés augmentent la pression intratubulaire, s’opposant ainsi à la pression de filtration glomérulaire. Les altérations de l’épithélium tubulaire sont à l’origine de phénomènes de rétrodiffusion du filtrat glomérulaire à travers la membrane tubulaire lésée. L’urée et la créatinine, ainsi que les autres déchets azotés urinaires, sont « rétrodiffusés » dans la circulation générale.
– La régénération.
Beaucoup de cellules épithéliales tubulaires meurent au moment de la reperfusion rénale [25], où l’on voit apparaître des radicaux oxygénés. Mais les cellules vivantes restantes sont capables de proliférer sous l’influence de divers facteurs de croissance comme l’insulin-like growth factor I (IGF-I), l’epidermal growth factor (EGF), l’hepatocyte growth factor (HGF) et le transforming growth factor a et b1 (TGF-a et b1) [34, 70] permettant de restaurer l’épithélium tubulaire.
NTA d’origine toxique
Deuxième en fréquence avec près de 20 % des causes d’IRA par NTA [46], cette atteinte est majorée par la présence de facteurs prédisposants (diabète, hypovolémie, sujet âgé, …) ou l’association de plusieurs toxiques. La toxicité tubulaire peut être directe sur la cellule épithéliale, ou indirecte par des mécanismes vasculaires. Au cours de l’atteinte toxique directe, des produits perturbent les fonctions enzymatiques et réparatrices de la cellule ou modifient ses structures membranaires (aminoglycosides, amphotéricine B, cisplatine, antimitotiques, hème). Certaines substances filtrées sont réabsorbées par le tubule rénal, mais ne sont pas métabolisées et peuvent s’accumuler dans les cellules. C’est le cas des substances hyperosmolaires entraînant une néphrose osmotique (produits de contraste iodés, amidons). La toxicité peut être liée à des phénomènes de vasoconstriction avec un mécanisme proche de celui de la NTA ischémique (ciclosporine, AINS, amphotéricine B, protéines de l’hème et produits de contraste iodés).
NTA par obstruction tubulaire
Certains produits éliminés dans les urines peuvent présenter une toxicité tubulaire par précipitation dans la lumière tubulaire en formant des agrégats ou des cristaux. Un pH urinaire acide favorise la précipitation tubulaire d’acide urique, de l’hème et des paraprotéines (chaînes légères et lourdes des immunoglobulines [Ig]). D’autres produits peuvent précipiter comme l’oxalate, l’aciclovir et le méthotrexate.
Étiologie des NTA
- Par toxicité tubulaire directe
Aminoglycosides : la NTA est une complication fréquente touchant 10 à 20 % des patients traités [38]. Leur toxicité est proportionnelle à la dose utilisée et à la durée du traitement. La réabsorption tubulaire étant saturable, il est admis actuellement qu’une dose unique journalière est moins néphrotoxique qu’un traitement fractionné [65], sans pour autant diminuer leur efficacité. La toxicité semble liée au nombre de groupes cationiques NH3+. La néomycine possède six groupes NH3+, la gentamicine et la nétilmicine en possèdent cinq, alors que l’amikacine ne contient que quatre groupes NH3+, d’où une néphrotoxicité respectivement décroissante.
Amphotéricine B : sa néphrotoxicité est importante puisqu’une IRA apparaît en moyenne chez 40 % des patients traités [67]. La toxicité est en rapport avec une modification structurale membranaire altérant la perméabilité cellulaire. Par ailleurs, le solvant utilisé pour ce médicament, le désoxycholate, contribuerait en partie à la néphrotoxicité [82]. L’amphotéricine B provoque également une importante vasoconstriction intrarénale [68] par un effet direct sur l’endothélium et par le rétrocontrôle tubuloglomérulaire. De plus, elle est responsable d’une acidose tubulaire distale avec fuite urinaire de potassium et de magnésium, entraînant hypokaliémie et hypomagnésémie. Un apport hydrosodé suffisant et l’utilisation de la forme liposomale du produit diminuent la néphrotoxicité.
Cisplatine : ce produit, utilisé en oncologie, possède une néphrotoxicité dose-dépendante et cumulative. L’atteinte rénale prédomine au niveau du tube proximal [50]. Le traitement par cisplatine peut également se compliquer d’hypomagnésémie, de déplétion sodée et d’hypokaliémie. Par ailleurs, des cas de microangiopathie thrombotique ont été rapportés en association avec la bléomycine.
Autres médicaments : plus rarement, des cas de NTA médicamenteuse par toxicité directe ont été rapportés avec les céphalosporines de première génération, la glafénine, les AINS, le paracétamol et la vancomycine.
Produits de contraste iodés : le mécanisme d’atteinte rénale est multifactoriel. L’iode a une toxicité directe sur la cellule tubulaire, dont le mécanisme reste mal connu [3]. De plus, elle induit une vasoconstriction rénale, par l’intermédiaire de modifications de synthèse du NO et de l’endothéline. Leur nature hyperosmolaire pourrait être en cause dans l’apparition de lésions de néphrose osmotique avec vacuolisation cellulaire. De plus, ces produits favorisent la précipitation intratubulaire d’acide urique et deprotéines. Il existe plusieurs facteurs prédisposant à l’apparition de l’IRA : diabète, myélome, insuffisance rénale sous-jacente, hypovolémie, utilisation de diurétiques, injection répétée d’iode.
NTA par obstruction tubulaire
Les principaux produits incriminés sont : l’aciclovir (10 à 30 % des patients traités par la forme injectable) [60], le méthotrexate à forte dose, le triamtérène, l’indinavir (dans le traitement du virus de l’immunodéficience humaine [VIH]), les dextrans et les sulfamides.
Les chaînes légères d’Ig et les cylindres myélomateux présentent une néphrotoxicité liée à la formation de cylindres intratubulaires et à une toxicité directe des chaînes légères pour la cellule tubulaire [66].
Une urine acide et/ou concentrée favorise la formation des cylindres.
L’hyperuricosurie et l’hyperoxalurie sont souvent responsables d’une obstruction tubulaire.
La précipitation d’acide urique est souvent une complication des traitements de certaines hémopathies (syndromes lymphoprolifératifs et myéloprolifératifs) par lyse tumorale, plus rarement les hyperuricémies primitives. La précipitation des cristaux d’oxalate peut compliquer les intoxications à l’éthylène glycol, mais aussi l’hyperoxalurie primitive.
Les pigmenturies : myoglobinurie et hémoglobinurie, consécutives respectivement à une rhabdomyolyse et à une hémolyse, sont des causes fréquentes d’IRA. Leur néphrotoxicité est mal connue, mais elle peut relever d’une toxicité directe sur la cellule tubulaire. Le composant du fer contenu dans les protéines de l’hème de ces deux pigments serait directement toxique pour les cellules tubulaires [83].
Elles sont également responsables d’une obstruction tubulaire par la formation de cylindres, favorisée par l’acidose et l’hypovolémie.
Néphropathies interstitielles aiguës (NIA)
Elles représentent 5 à 10% des IRA organiques. L’origine de ces néphropathies peut être immunoallergique, infectieuse, toxique ou secondaire à certaines maladies générales.
NIA immunoallergique
Les médicaments en sont la cause la plus fréquente, avec plus d’une centaine de produits incriminés [32]. Sa survenue est consécutive à une réaction allergique d’hypersensibilité à l’introduction ou la réintroduction d’un médicament, ou après une utilisation parfois très prolongée du produit (plusieurs semaines ou mois voire années), indépendamment de la dose reçue. Il existe des signes généraux évocateurs comme une fièvre, un rush cutané et des arthralgies. Les examens biologiques montrent une hyperéosinophilie et une hyperéosinophilurie, une cytolyse hépatique, une hématurie, une protéinurie modérée et une leucocyturie. L’histologique rénale, examen diagnostique de certitude, révèle un oedème interstitiel et un infiltrat interstitiel inflammatoire par les lymphocytes, les macrophages, les neutrophiles, les éosinophiles. Parmi les médicaments fréquemment en cause, ont été rapportés les antibiotiques (pénicillines, céphalosporines, sulfamides, triméthoprime, rifampicine, phénytoïne, quinolones), les diurétiques (furosémide, thiazidiques), les antiulcéreux (cimétidine, ranitidine, oméprazole), allopurinol, les AINS, le 5-aminosalicylate et le captopril.
NIA d’origine infectieuse
Elle se caractérise par une infiltration de polynucléaires ou la présence de microabcès. Elle est constante dans les infections urinaires ascendantes ou compliquant les obstacles urologiques (pyélonéphrite aiguë), mais peut se rencontrer au cours de certaines infections d’origine hématogène comme la leptospirose, la brucellose, la légionellose, la rickettsia, le mycoplasme et lesn Hantavirus.
NIA d’origine toxique
Il s’agit d’une réaction immunologique en présence d’un corps étranger. C’est le cas des néphropathies cristallines par précipitation interstitielle de cristaux d’acide urique (lyse tumorale des hémopathies), phosphocalciques et d’oxalate réalisant à leur contact une importante réaction inflammatoire. Des NIA sont également rapportées avec la cisplatine et certains analgésiques (glafénine). NIA au cours des maladies générales
IRA d’origine glomérulaire
Certaines néphropathies glomérulaires peuvent s’accompagner d’une IRA dans un tableau de syndrome néphritique aigu, ayant en commun l’association d’une hypertension artérielle, d’une protéinurie et d’une hématurie. Elles représentent moins de 10 % des IRA.
Il s’agit soit de glomérulonéphrites aiguës (GNA), soit deglomérulonéphrites rapidement progressives. L’hospitalisation en réanimation de ces patients est rare, en général en relation avec des symptômes extrarénaux (en particulier respiratoires ou neurologiques) ou du fait de complications du traitement immunosuppresseur (en particulier infectieuses). GNA postinfectieuses
Glomérulonéphrites rapidement progressives (GNRP)
Ce sont des formes graves de glomérulopathies à considérer comme une urgence thérapeutique, car elles peuvent aboutir à une insuffisance rénale terminale en quelques semaines ou mois. Elles regroupent des glomérulonéphrites ayant en commun la présence d’une prolifération cellulaire extracapillaire aboutissant à la formation de croissants épithéliaux. Elles sont classées en fonction de trois mécanismes pathogéniques selon leur association à des anticorps antimembrane basale glomérulaire (type I), à des dépôts immuns granuleux sur les parois glomérulaires (type II) ou à l’absence de dépôts immuns (type III).
GNRP de type I
Les GNRP de type I, associées à des anticorps antimembrane basale glomérulaire (MBG), représentent 20 % des GNRP. Les anticorps anti-MBG sont retrouvés dans le sang et sous forme de dépôts linéaires d’IgG le long des MBG. Le syndrome de Goodpasture est le plus connu et touche essentiellement l’homme jeune. Il peut être idiopathique mais des facteurs déclenchants sont reconnus, comme le tabac ou l’exposition à certains hydrocarbures (solvants, colles).
Le tableau clinique est celui d’un syndrome pneumorénal, débutant habituellement par les signes pulmonaires (hémoptysies, dyspnée, infiltrat alvéolaire radiologique diffus) avant l’apparition d’une insuffisance rénale rapidement progressive et oligoanurie.
L’hémorragie alvéolaire peut être massive et mortelle. Le diagnostic est fondé sur la mise en évidence des anticorps anti-MBG circulants, sur la biopsie rénale révélant une immunofluorescence linéaire d’IgG et de C3 le long de la membrane basale glomérulaire, et la présence de croissants épithéliaux touchant plus de 50 % des glomérules. Le traitement associe corticoïdes, immunosuppresseurs (cyclophosphamide) et échanges plasmatiques. Une IRA sévère initiale est de mauvais pronostic, car le plus souvent les patients auront recours à une épuration extrarénale définitive [10].
GNRP de type II
Les GNRP de type II sont associées à des dépôts immuns granuleux.Elles représentent 40 % environ des GNRP. Une hypocomplémentémie, une cryoglobulinémie et des complexes immuns circulants sont souvent retrouvés. Elles peuvent être idiopathiques, mais sont souvent secondaires à des maladies générales comme le lupus érythémateux aigu disséminé, le syndrome de Sharp, le purpura rhumatoïde et la maladie de Berger dans sa forme maligne, la cryoglobulinémie mixte, des causes infectieuses
(streptocoque, pneumocoque, légionelles, rickettsies et parfois hépatite B). Les foyers infectieux sont essentiellement cutanés, ORL, endocarditiques et digestifs.
GNRP de type III
Les GNRP de type III sont non associées à des dépôts de complexes immuns. Elles peuvent être idiopathiques ou secondaires à une maladie générale, essentiellement les vascularites (maladie de Wegener, périartérite noueuse microscopique et syndrome de Churg et Strauss). Elles sont associées à la présence d’anticorps anticytoplasme des polynucléaires (ANCA) dans le sang.
La granulomatose de Wegener est une angéite nécrosante granulomateuse touchant l’arbre respiratoire, la sphère ORL et les reins, mais aussi la peau, les yeux, le système nerveux et parfois le coeur. Le tableau initial peut prendre l’apparence d’un syndrome pneumorénal, souvent après des symptômes ORL ou pulmonaires.
L’atteinte rénale peut être initiale. Elle est quasiment constante à un moment donné de l’évolution. Le diagnostic est fondé sur la biopsie rénale et la présence d’ANCA dans le sang dans 90 à 95 % des cas(surtout de type antiprotéinases 3 : ANCA-PR3). Un diagnostic rapide est nécessaire car l’évolution spontanée peut être péjorativeet le traitement immunosuppresseur (corticoïdes et cyclophosphamide) rapidement efficace.
La périartérite noueuse (PAN) microscopique (ou micropolyangéite) est une artérite nécrosante des vaisseaux plus petits que dans la PAN macroscopique. Elle touche le rein mais également les poumons, la peau et les muscles. Un syndrome pneumorénal est souvent inaugural du tableau clinique [43]. Le diagnostic repose sur la biopsie rénale et la présence d’ANCA de type antimyéloperoxydase (MPO).
IRA d’origine vasculaire
Les microangiopathies sont représentées essentiellement par les microangiopathies thrombotiques (syndrome hémolytique et urémique [SHU] etpurpurathrombocytopénique thrombotique), l’hypertension artérielle maligne, lcoagulationintravasculaire disséminée [CIVD], l’embolie de cristaux de cholestérol, lPAN macroscopique et la crise rénale sclérodermique.
Les tableaux cliniques du SHU associent une IRA, une hypertension artérielle, une hémolyse mécanique avec schizocytes, une thrombopénie sans anomalie des facteurs de coagulation, et des troubles neurologiques (déficits focalisés et convulsions). Ils surviennent habituellement chez un enfant ou un adulte jeune. Chez l’enfant, le SHU peut être secondaire à une gastroentérite à Escherichia coli. Les autres causes de SHU sont nombreuses : lupus érythémateux, patients infectés par le VIH, pathologie cancéreuse ou causes médicamenteuses (mitomycine C, anticalcineurines, ou plus rarement AINS, contraceptifs oraux oestrogéniques). La néphroangiosclérose (NAS) maligne est secondaire à une hypertension artérielle maligne. Ses conséquences peuvent être graves et elle constitue une urgence thérapeutique. Les macroangiopathies sont rares et associent IRA brutale, poussée hypertensive, douleur lombaire et hématurie parfois macroscopique.
IRA médicamenteuses
De nombreux médicaments pouvant être responsables d’IRA ont été cités en fonction de leur mécanisme, leur liste est résumée dans le tableau VI.