Alcaloses métaboliques pures

Diagnostic positif
Signes cliniques
L’alcalose métabolique est le plus souvent asymptomatique.
Elle peut se manifester en cas de pH supérieur à 7,55 et, comme pour l’acidose, ses signes cliniques sont peu spécifiques [3, 9, 12, 109-111] :
- manifestations neuromusculaires : léthargie, agitation, confusion, stupeur,contractures musculaires, crises convulsives, coma. Leur mécanisme d’apparition n’est pas univoque : alcalémie, hypoxémie, diminution du débit cérébral… ;
- manifestations cardiovasculaires : troubles du rythme ventriculaire
et supraventriculaire essentiellement.
Les manifestations électrocardiographiques
semblent refléter essentiellement lesvariations de la kaliémie ;
- manifestations respiratoires : à l’hypoventilation alvéolaire réactionnelle s’associe une hypoxémie. Ainsi, une acidose respiratoire aiguë peut survenir si l’on administre de l’oxygène à un insuffisant respiratoire en état d’alcalose métabolique.
Signes biologiques
L’alcalose métabolique se caractérise par une élévation du pH, des bicarbonates plasmatiques et de la PaCO2 qui correspond à la réponse respiratoire prévisible et tend à ramener le pH vers les valeurs normales [3, 9, 109-111]. La réponse ventilatoire est cependant autolimitée par l’hypoxémie qu’elle induit. Selon Henderson-Hasselbalch, c’est l’élévation des bicarbonates plasmatiques qui est la cause première de l’élévation du pH.
Selon le concept de Stewart, l’élévation du pH peut résulter d’une élévation du SID par hypernatrémie ou, plutôt, d’une baisse des anions forts (hypochlorémie) ou encore d’une
diminution des acides faibles comme dans l’hypoalbuminémie (Tableau 3) [17, 32]. Les variations de la chlorémie dépendent de la cause. L’hypokaliémie est fréquente, liée soit à la pénétration intracellulaire de potassium, soit à des fuites urinaires. Parfois, on note une hypophosphorémie, une diminution du calcium ionisé et une hypomagnésémie. Le TA peut être élevé dans trois situations : hyperlactatémie, survenue d’une acidose métabolique organique associée ou excès d’alcalinisation d’une acidose métabolique.
Diagnostic étiologique
Le diagnostic étiologique [9, 106-111] repose sur l’histoire et l’examen cliniques, les données des ionogrammes sanguins et urinaires (pH et chlorurèse principalement). La démarche diagnostique étiologique des alcaloses métaboliques est résumée dans la Figure 5. La physiopathologie de l’alcalose métabolique est plus complexe que celle des acidoses métaboliques
, car face à une élévation importante des bicarbonates plasmatiques, un rein normal est capable d’excréter de grandes quantités de bicarbonates, de sorte qu’une alcalose métabolique ne devrait,
théoriquement, pas pouvoir persister. L’apparition d’une alcalose métabolique soutenue implique, à la fois, des mécanismes de développement et des mécanismes d’entretien du
processus. Contrairement aux autres TAB, l’alcalose métabolique peut persister alors même que les mécanismes qui l’ont initiée ont disparu. Ainsi, on distingue trois phases dans l’évolution du désordre [109-111] : genèse, entretien et correction.
Phase de genèse
La phase de genèse est la période pendant laquelle la cause première de l’alcalose métabolique est seule présente. Les mécanismes d’apparition impliquent classiquement soit une perte en protons non volatils, soit une surcharge en bicarbonates.
Néanmoins dans le concept de Stewart, l’alcalose métabolique est induite soit par une baisse plus importante de chlore que de sodium, soit par une élévation du sodium, l’un comme l’autre aboutissant à une élévation du SID, soit encore à une diminution des acides faibles.
Alcaloses hypochlorémiques [109-111]
Ce sont les alcaloses métaboliques à déplétion chlorée dites alcaloses métaboliques « chlorosensibles ». L’alcalose est le résultat de la perte de chlore qui induit une augmentation du SID. Elles peuvent avoir plusieurs causes. Les pertes digestives
(vomissements abondants, aspiration gastrique) représentent les causes les plus fréquentes d’alcalose métabolique à déplétion chlorée. La constante hypochlorémie est souvent associée à une hypokaliémie qui résulte de pertes urinaires de potassium dues aux pertes obligatoires avec les ions bicarbonates dans les urines et à un éventuel hyperaldostéronisme secondaire. Au niveau des urines, la natriurèse et la kaliurèse sont élevées, la chlorurèse nulle ; il existe une bicarbonaturie et le pH est supérieur à 6. Les alcaloses métaboliques en rapport avec des pertes rénales sont, le plus souvent, iatrogènes en rapport avec l’administration de diurétiques chlorurétiques [78]. Les urines sont alors riches en Na+, K+ et Cl–, mais pauvres en HCO3 – et le pH est inférieur à 6. Les alcaloses métaboliques secondaires aux hypoventilations chroniques (acidose respiratoire chronique des bronchopneumopathies chroniques obstructives [BPCO]) résultent aussi de pertes rénales en chlore, pertes qui sont destinées à compenser le trouble respiratoire persistant. L’apport exogène de solutés alcalins (bicarbonates, citrates, carbonates, acétates) peut aussi entraîner une alcalose métabolique chlorosensible qui est induite par l’excès de sodium et donc l’augmentation du SID.
Alcaloses normochlorémiques [28, 109-111]
Ce sont les alcaloses métaboliques à pool chloré conservé dites alcaloses métaboliques « chlororésistantes ». Elles sont plus rares, dues à une rétention rénale en sodium qui augmente le SID. L’élimination urinaire concomitante de potassium altère
aussi la réabsorption du chlore au niveau du tubule distal, ce qui pérennise l’alcalose. Ce phénomène peut être initié par un excès de minéralocorticoïdes, une déplétion potassique ou une surcharge en anions non réabsorbables. Le tableau biologique est celui d’une alcalose métabolique normochlorémique ou discrètement hypochlorémique et hypokaliémique. La natriurèse, la kaliurèse et la chlorurèse sont élevées et le pH urinaire < 6,5.
Alcaloses par hypoalbuminémie [28, 109-111]
La baisse de l’albuminémie entraîne une augmentation du SID, donc une alcalose. Sa fréquence chez les patients de réanimation est élevée, variant de 50 à 95 % des patients [23, 42].
Sa présence peut masquer le diagnostic d’acidose métabolique si l’on utilise l’approche classique d’Henderson-Hasselbalch avec calcul du TA sans aucune correction de formule.
Alcaloses de contraction [109-111]
Elles sont dues à une élévation du SID, secondaire à l’augmentation proportionnellement plus importante de cations forts (sodium) que d’anions forts (chlore). Ceci correspond aux situations de déshydratation intracellulaire avec hypernatrémie.
Leur implication clinique reste inconnue.
Phase d’entretien
La phase d’entretien est toujours d’origine rénale et résulte d’une réabsorption tubulaire des bicarbonates avec excrétion d’ions H+. C’est ce qu’on appelle l’« acidurie paradoxale » qui est caractéristique de cette phase. Plusieurs facteurs peuvent
être responsables du maintien d’une alcalose métabolique, à part entière ou en association (Tableau 6). Leur mécanisme d’action commun est l’augmentation de réabsorption rénale des bicarbonates qui peut être induite par plusieurs phénomènes :
hypochlorémie, hypokaliémie, hyperaldostéronisme, hypovolé-mie, … [109-111]. Ainsi, cette phase d’entretien se caractérise, sur le plan biologique, par un pH urinaire inférieur à 6.
La chlorurèse reste basse pour les alcaloses métaboliques hypochlorémiques d’origine digestive, mais elle devient basse également pour celles d’origine rénale car le pool chloré finit par être très bas.
Tableau 6.
Facteurs d’entretien des alcaloses métaboliques. |
– Baisse de la filtration glomérulaire
– Diminution du volume extracellulaire (stimule la réabsorption tubulaire de bicarbonates) – Hypokaliémie . diminue la filtration glomérulaire . augmente la réabsorption tubulaire de bicarbonates – Hypochlorémie . diminue la filtration glomérulaire . la baisse de chlore au niveau distal conduit à l’augmentation d’excrétion d’ions H+ dans le tube collecteur médullaire – Flux rétrograde passif de bicarbonates – Aldostérone (augmente l’excrétion sodium-indépendante d’ions H+ au niveau du tube collecteur médullaire) – Perte continue d’acides – Apport continu de bicarbonates |
Phase de correction
Pour les alcaloses métaboliques chlorosensibles, la phase de correction apparaîtra avec la normalisation du pool chloré : la chlorémie remonte, les HCO3
– et le pH se normalisent ; la bicarbonaturie réapparaît et le pH urinaire devient supérieur à 6. La correction des alcaloses métaboliques chlororésistantes repose avant tout sur la normalisation du pool potassique et des concentrations plasmatiques
minéralocorticoïdes.
“ Points forts
• L’alcalose métabolique peut être générée par une augmentation du SID, le plus souvent en rapport avec une perte digestive ou rénale de chlore, ou moins souvent une réabsorption rénale de sodium. Les deux outils du diagnostic étiologique des alcaloses métaboliques sont donc la chlorémie et la chlorurèse. Ils permettent de distinguer les alcaloses métaboliques chlorosensibles qui sont hypochlorémiques et à chlorurèse basse, des alcaloses métaboliques chlororésistantes à chlorurèse élevée. • Pour persister, l’alcalose métabolique nécessite la présence de facteurs d’entretien qui correspond à une réabsorption tubulaire de bicarbonates et se traduit par la fameuse acidurie paradoxale. Parmi les plus fréquents, on trouve l’hypokaliémie, l’hypovolémie, et l’hypochlorémie. Le pH urinaire est donc un outil de surveillance d’efficacité du traitement : la remontée du pH urinaire témoigne de la correction effective des facteurs d’entretien de l’alcalose. |
Traitement
Principes du traitement
Le traitement des alcaloses métaboliques repose sur la correction des causes du désordre et de ses mécanismes d’entretien
[9, 109-111]. La seule correction de la cause est insuffisante si l’on ne traite pas les facteurs d’entretien de l’alcalose métabolique.
La correction des alcaloses métaboliques chlorosensibles passe par la correction du pool chloré.L’apport de NaCl dans les alcaloses métaboliques chlorosensibles est un traitement indispensable, à la fois pour corriger la déplétion chlorée et l’hypovolémie.
Mais son administration exclusive semble insuffisante et plusieurs travaux
recommandent de plus en plus l’association systématique de KCl, indispensable pour corriger l’hypokaliémie qui est toujours associée [110].
Le traitement des alcaloses métaboliques chlororésistantes repose essentiellement sur l’apport de KCl.
Moyens thérapeutiques
- Chlorures : le NaCl permet de corriger la déplétion chlorée, de restaurer le volume extracellulaire et d’améliorer la filtration glomérulaire. Le choix porte habituellement sur le NaCl isotonique (0,9 %). Le KCl permet de corriger la déplétion potassique qui est théoriquement présente dans toute alcalose métabolique.
L’administration de KCl ne doit pas dépasser 40 mmol h–1 et nécessite un monitorage étroit de l’électrocardiogramme (ECG) et de la kaliémie.
- Agents acidifiants : ils permettent une baisse rapide du pH sanguin par la charge d’ions H+ qu’ils induisent. La quantité d’ions H+ à perfuser est évaluée par la formule : [H+ ] = poids (kg) × 0,5 × [HCO3
– mesurés – HCO3
– théoriques] (mmol l–1).
Cette estimation reste toutefois imprécise puisque les variations du volume de distribution peuvent atteindre 20 à 60 % du poids corporel. Ce moyen thérapeutique ne doit être réservé qu’aux alcaloses métaboliques menaçant le pronostic vital lorsque l’on ne peut pas traiter autrement les facteurs en cause (états oedémateux, insuffisances rénales ou respiratoires).
Dans tous les cas, il est inutile et même dangereux de normaliser trop rapidement le taux de bicarbonates car on risque de créer une acidose mixte. L’administration d’ions H+ doit induire une baisse des bicarbonates d’environ 8 à 12 mmol l–1. Les chlorhydrates d’ammonium, d’arginine et de lysine sont métabolisés en urée : ils sont contre-indiqués
en cas d’insuffisance hépatique ou rénale préexistante. Leurs indications restent limitées. L’acide chlorhydrique (0,15 ou 0,2 M) se transforme en CO2 + H2O + Cl–. L’eau ainsi formée diffuse de manière homogène dans tous les secteurs, sans risque de surcharge intra- ou extracellulaire. L’HCl peut donc être utilisé en toute sécurité chez l’insuffisant rénal et hépatique ou dans les états oedémateux où l’apport de NaCl est contre-indiqué [112, 113].
- Acétazolamide (Diamox®) : l’acétazolamide est un diurétique inhibiteur de l’anhydrase carbonique, responsable d’une bicarbonaturie, mais aussi d’une perte urinaire de Na, d’eau et de K qui peuvent aggraver une déplétion préexistante. Il peut être utile chez les patients oedémateux mais est contreindiqué chez l’insuffisant hépatique et rénal. Son indication de choix est l’alcalose métabolique posthypercapnique. En pratique, il s’administre per os à la dose de 250 mg × 3-4/j.
- Épuration extrarénale : l’épuration extrarénale est un moyen de traitement efficace des alcaloses métaboliques, surtout quand la fonction rénale est altérée [111]. Quelle que soit la technique choisie (hémodialyse intermittente ou hémofiltration continue), le principe de base est d’utiliser des bains de dialyse contenant peu ou pas de bicarbonates ou, mieux, des bains de dialyse acides.
Traitement en fonction de la cause
- Alcaloses métaboliques par pertes digestives hautes : le traitement symptomatique de base repose sur l’apport simultané de NaCl et de KCl pour rétablir les pools chloré et potassique ainsi que la volémie. La preuve de la correction de l’alcalose métabolique est apportée par la réapparition d’une bicarbonaturie (pHu > 6).
- Alcaloses métaboliques par diurétiques : le traitement préventif passe par la prescription systématique d’un diurétique épargneur de potassium (spironolactone, amiloride) [109-111].
Le traitement curatif repose principalement sur l’apport de KCl. En cas d’oedèmes et/ou d’insuffisance rénale, l’apport de NaCl est contre-indiqué.
Dans ces situations, si l’alcalose est sévère ou s’il existe un trouble complexe, l’épuration extrarénale ou l’apport transitoire de HCl peuvent être utiles.
- Hyperminéralocorticismes : le traitement curatif est avant tout étiologique : ablation chirurgicale d’une tumeur, administration d’antagonistes type antialdostérone dans les hyperaldostéronismes primaires.
“ Point fort
Le traitement des alcaloses métaboliques nécessite le traitement de la cause. Le traitement des facteurs d’entretien est aussi obligatoire. Leur persistance rend totalement inefficaces tous les autres traitements. En dehors de la cause, le traitement symptomatique passe par la recharge sodée associée à la recharge potassique en cas d’hypokaliémie. Le traitement par HCl peut être utile dans de rares conditions. |