Causes des hypercalcémies sévères

Les causes les plus fréquentes d’hypercalcémies aiguës
sévères rencontrées enanesthésie-réanimation sont représentées par les causes parathyroïdiennes, l’insuffisance rénale et les néoplasies qui seront particulièrement envisagées. Les causes plus rares telles que les origines toxiques ou médicamenteuses, les atteintes endocriniennes autres que parathyroïdiennes ou les maladies de système seront abordées plus rapidement. Hyperparathyroïdie primaire Il s’agit de la sécrétion inappropriée (à la concentration de calcium) de PTH par un adénome, une hyperplasie ou un carcinome thyroïdien. Il existe à la fois une augmentation du nombre et de l’activité des cellules parathyroïdiennes et une diminution de la sensibilité à l’action inhibitrice du calcium sur la sécrétion de PTH.
Différentes formes
Dans 85 % des cas d’hyperparathyroïdie primitive, il s’agit d’adénomes isolés, la presque totalité des cas restants correspondant à des adénomes multiples ou à des hyperplasies. Dans moins de 1 % des cas, il s’agit d’un carcinome. Environ 75 % des adénomes isolés sont retrouvés chez des femmes dont l’âge moyen est de 55 ans. L’incidence annuelle aux États-Unis est passée de 112 pour 10 000 en 1974 à 8 pour 100 000 en 1992, du fait probablement de l’ablation précoce d’adénomes. [36] Les facteurs favorisant cette pathologie sont l’irradiation et les traitements par sels de lithium. [28] On a de plus incriminé une anomalie du récepteur sensible au calcium, résultat d’une mutation génétique et responsable de l’absence d’adaptation de la sécrétion de PTH au niveau de la calcémie. [13]Parmi les hyperparathyroïdies primaires concernant plusieurs glandes, 20 % sont familiales et l’on a identifié l’origine génétique de ces maladies, il s’agit :
- tout d’abord, des néoplasies endocriniennes multiples (NEM) :
le type I de Wermer (NEMI) qui associe des tumeurs parathyroïdiennes, hypophysaires, digestives, pancréatiques, a été rapporté au chromosome 11q13 et au gène MENIN [7] en 1997. L’âge d’apparition de l’hyperparathyroïdie dans ce cadre est d’environ 25 ans et à 50 ans, tous ces malades présentent une hyperparathyroïdie. Le traitement chirurgical est efficace mais il existe des récidives à distance ;
le type II de Sipple (NEM2) associe une hyperparathyroïdie
primaire, un phéochromocytome et un cancer médullaire de la thyroïde. En fait, l’hyperparathyroïdie est assez rare dans le cadre des NEM2 et il s’agit en général de formes peu sévères ;
- de l’hyperparathyroïdie isolée familiale, où il existe plusieurs atteintes de glandes parathyroïdiennes sans autre atteinte endocrinienne. Le profil génétique est particulier et l’hypercalcémie est ici souvent plus sévère que dans les NEM ou les cas sporadiques. Enfin, le risque de carcinome parathyroïdiensemble plus élevé dans ces parathyroïdies isolées familiales ; [35]
- de l’hypercalcémie-hypocalciurie familiale : il s’agit d’une maladie autosomique dominante, dont la cause est une mutation au niveau du chromosome 3 codant pour le récepteur sensible au calcium et qui entraîne une réduction ou une inactivation des fonctions de ce récepteur. L’ion calcium n’a dès lors que peu ou plus d’effet de rétrocontrôle négatif sur les cellules parathyroïdiennes sécrétant la PTH. Dans ce cadre, l’hypercalcémie est modérée, le taux de PTH normal et la calciurie est basse en dépit de l’hypercalcémie du fait du dysfonctionnement des récepteurs au calcium rénaux.
Manifestations cliniques
L’excès de sécrétion de PTH conduit à un afflux de calcium à l’os, au rein, au tube digestif avec comme résultat une hypercalcémie, une hypercalciurie et un renouvellement osseux accéléré.Habituellement, c’est la découverte d’une calcémie élevée (calcémie supérieure à 2,6 mmol l–1 ou calcium ionisé supérieur à 1,3 mmol l–1) qui fait évoquer l’hyperparathyroïdie. La poursuite des explorations révélera une hypercalciurie (supérieure à 0,1 mmol kg–1 j–1), une hypophosphorémie (inférieure à 0,85 mmol l–1), une hyperphosphaturie, une acidose hyperchlorémique.
Une augmentation du taux de 1-84 PTH dosée par radio-immunométrie, en rapport avec la calcémie, confirme engénéral le diagnostic.
Enfin, l’augmentation des phosphatases alcalines, de l’adénosine monophosphate (AMP) cyclique urinaire et de l’hydroxyprolinurie témoigne de la participation osseuse. Il peut exister chez ces malades le développement de lithiases rénales avec des cristaux de phosphate ou d’oxalate de calcium. Des néphrocalcinoses ont également été décrites. Sur le plan osseux, le remaniement conduit à l’association de lacunes, avec amincissement des corticales osseuses, à des images de tumeurs donnant l’aspect radiologique typique d’ostéite fibrokystique, actuellement rarement rencontré.
Enfin un certain nombre d’autres signes cliniques peuvent compléter le tableau lorsqu’il évolue depuis longtemps : signes digestifs avec association fréquente à des ulcères gastroduodénaux ou à des pancréatites, signes neuromusculaires avec fatigabilité, troubles affectifs ou cognitifs souvent discrets, signes cardiovasculaires avec hypertension artérielle, hypertrophie ventriculaire gauche, coronaropathie. Un marqueur du risque cardiovasculaire serait un taux élevé d’interleukine 6. [34]
La crise aiguë parathyrotoxique constitue parfois la circonstance de découverte de la maladie et requiert un traitement rapide (Tableau 3) [37]: elle associe des signes rénaux avec polyurie, polydipsie et déshydratation globale, des signes digestifs, nausées, vomissements, des signes neuropsychiques allant de l’agitation au coma avec hypotonie musculaire et aréflexie, ainsi que des signes cardiaques mettant en jeu lepronostic vital avec hypertension artérielle, troubles du rythme et de la conduction. Le tableau exige une prise en charge rapide de l’hypercalcémie qui est alors majeure, au-delà de 3,5 mmol l–1.
Hyperparathyroïdie secondaire
La cause la plus fréquente en est l’insuffisance rénale chronique.
L’hyperplasie des glandes parathyroïdes et l’élévation de la PTH plasmatique surviennent précocement au cours de l’évolution de l’insuffisance rénale. Les facteurs responsables de cette hypersécrétion parathyroïdienne dans l’insuffisance rénale sont la rétention de phosphore, la réduction de production de calcitriol (vitamine D active) induisant initialement une hypocalcémie ainsi que la résistance de l’os à l’action de la PTH.
Il semble que le rôle de la rétention du phosphore soit un élément important aussi bien en ce qui concerne l’hyperproduction de PTH que la diminution de la sensibilité des récepteurs à la PTH par un phénomène de down-regulation. Il en serait de même pour les récepteurs au calcium. Il existerait en effet une diminution de l’expression du récepteur calcium sur les cellules parathyroïdiennes et ce de façon plus marquée sur les zones nodulaires que sur les zones d’hyperplasie. Le rôle du déficit en vitamine D active semble également non négligeable dans la mesure où cette hormone exerce un effet inhibiteur direct sur la synthèse de la PTH et la prolifération cellulaireparathyroïdienne.
Les progrès dans la connaissance des mécanismes moléculaires impliqués dans la constitution de l’hyperparathyroïdie secondaire permettent d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques. [31]
Les complications de l’hyperparathyroïdie secondaire sont essentiellement osseuses : il existe d’une part une ostéomalacie du fait de la baisse du calcitriol et d’autre part une ostéopathie dite adynamique par réduction du remodelage osseux.
Initialement rapportée à une intoxication par l’aluminium des dialyses chroniques, le mécanisme de ce défaut de remodelage n’est en fait pas bien connu : il ferait intervenir l’interleukine 11, le NO, des fragments de la molécule de PTH, des déchets azotés ou encore un déficit en hormones sexuelles présent chez ces malades. [12]
Au cours de ces hyperparathyroïdies secondaires, il peut également exister un prurit dû à une augmentation de calcium dans la peau et qui est parfois très invalidant.
Les signes biologiques comportent une calcémie rarement très élevée, parfois même normale à un stade avancé de la maladie, une hyperphosphorémie, un taux de calcitriol diminué, une augmentation de la PTH et des phosphatases alcalines. Le traitement restera essentiellement médical afin de faire diminuer la phosphorémie et la calcémie dans le but de supprimer la sécrétion de PTH et d’améliorer les signes osseux. Dans certains cas, la parathyroïdectomie subtotale ou totale avec autogreffe d’un moignon parathyroïdien est nécessaire à l’amélioration du prurit et de la symptomatologie osseuse. [17]
Hypercalcémie associée à une néoplasie
Il s’agit de la cause d’hypercalcémie le plus souvent rencontrée chez le malade hospitalisé. L’hypercalcémie y est souvent sévère, engageant rapidement le pronostic vital et de traitement difficile. Dix à vingt-cinq pour cent des malades présentant des cancers de la thyroïde, de l’ovaire, des myélomes, des lymphomes, des carcinomes rénaux ou du sein développent une hypercalcémie, souvent symptomatique, au cours de leur maladie. Il s’agit d’un signe tardif. Le délai entre l’hypercalcémie et le décès a pu être évalué à 4 à 6 semaines, même en cas de cancer traité, dans une étude regroupant plus de 100 malades. [24]
Physiopathologie
Deux types de mécanismes sont décrits dans l’hypercalcémie des néoplasies. D’une part l’action directe de la tumeur sur l’os, qui entraîne une ostéolyse :
cela implique d’importantes lésions osseuses telles qu’on les retrouve dans le cancer du sein métastasé, le myélome, les lymphomes, les leucémies. Les cellules malignes sécréteraient des facteurs d’activation des ostéoclastes locaux tels que des cytokines, des prostaglandines de la série E, du tumor necrosis factor (TNF), des interleukines 1 ou 6, du calcitriol ou du PTH-related peptide (PTHrP) et ce, plus particulièrement dans le cancer du sein. Cette activation de l’ostéolyse entraîne hypercalcémie,
hyperphosphorémie, suppression de la sécrétion de PTH et de vitamine D
active, hypercalciurie et diminution d’excrétion d’AMPc néphrogénique.
Le second mécanisme, qui semble être prépondérant dans les tumeurs spinocellulaires (poumon, tractus génital, oesophage), dans les carcinomes du rein ou des ovaires, ou dans les cancers du sein en l’absence de métastases osseuses, correspond à la production par les cellules tumorales de facteurs humoraux et en particulier de PTHrP qui vont agir par voie générale. [6]
Le PTHrP est un peptide de 141 acides aminés, découvert en 1987, qui présente une analogie structurelle avec la PTH, ce qui lui permet d’en fixer les récepteurs et d’en mimer les effets : activation de la résorption osseuse, hypercalcémie,
hypophosphorémie, augmentation de l’AMPc néphrogénique.
Pour des raisons mal connues, la vitamine D active plasmatique est alors diminuée et dans ce cas la biopsie osseuse montre une activation ostéoclastique sans augmentation de l’action des ostéoblastes.
En fait ces deux types de mécanismes locaux et humoraux sont probablement intriqués dans un certain nombre de cancers. [19]
Diagnostic
Le diagnostic de ces hypercalcémies néoplasiques est en général facile. Il existe les signes habituels de l’hypercalcémie (Tableau 3), souvent d’installation rapide, avec des signes de gravité cardiaques ou neurologiques qui en font une urgence thérapeutique. Ils sont souvent accompagnés de signes cliniques en liaison avec la tumeur ou les localisations osseuses. La biologie permet de faire la part des facteurs locaux ou humoraux à l’origine de l’hypercalcémie, en particulier les taux sanguins de PTHrP.
De très rares cas de sécrétion ectopique de PTH authentique ont été rapportés, [14] avec augmentation des taux sanguins de PTH ce qui est inhabituel dans les cas de néoplasie. De même, il existe dans certains lymphomes une production anormale de 1,25-OH2D3 où l’hypercalcémie est accompagnée de taux de PTH et de PTHrP abaissés, d’un calcitriol plasmatique élevé et d’une excrétion d’AMPc néphrogénique basse. [30]
Autres causes
Les autres causes d’hypercalcémie sont beaucoup moins fréquentes et rarement à l’origine d’hypercalcémies aiguës graves.
Intoxication à la vitamine D
Elle survient pour des apports quotidiens de vitamine D dépassant 50 000 à 100 000 unités. On ne retrouve en général pas d’augmentation nette des taux circulants de calcitriol, car seule la fraction libre qui n’est pas habituellement dosée sélectivement est élevée. [22] Les taux de son précurseur, le calcidiol (25 OH vitamine D), sont en revanche élevés.
Syndrome des buveurs de lait ou syndrome de Burnett
Il associe une hypercalcémie, une alcalose métabolique et une insuffisance rénale et il est secondaire à l’ingestion excessive de calcium ou d’anciens traitements antiacides. Les nouveaux traitements des ulcères gastroduodénaux et en particulier des protecteurs gastriques non absorbables ont rendu ce syndrome très rare. Chez ces malades, les taux sanguins de PTH sont bas, inhibés par l’hypercalcémie, ce qui favorise la réabsorption rénale de bicarbonates déjà amenés en excès.
Traitement par le lithium
Le lithium stimule in vitro la prolifération de cellules parathyroïdiennes ainsi que la synthèse de PTH par des cellules parathyroïdiennes adénocarcinomateuses ou hyperplasiques. [27] Chez certains malades traités par du lithium au long cours, on retrouve une hypercalcémie associée à des taux élevés de PTH.
De plus, des traitements de courte durée peuvent démasquer une hyperparathyroïdie primitive préexistante qu’il faut toujours rechercher dans ce cadre.
Apports importants en vitamine A
De 50 000 à 100 000 unités, ils peuvent conduire à une hypercalcémie sévère. Le mécanisme, non complètement connu, serait une augmentation de la résorption osseuse. [16]
Endocrinopathies
Certaines endocrinopathies comme l’insuffisance surrénale,
l’hyperthyroïdie ou le phéochromocytome peuvent être à l’origine d’hypercalcémies souvent modérées. Elles sont en général la conséquence d’une augmentation de la résorption osseuse avec impossibilité pour le rein d’excréter la surcharge calcique produite. [32]
Maladies granulomateuses
Il existe une production endogène de vitamine D par les macrophages des tissus
granulomateux et ce d’autant plus que les apports exogènes en vitamine D ou l’exposition au soleil sont grands.
Dix à 20 % des malades porteurs d’une sarcoïdose présentent une hypercalcémie, une hypercalciurie et des taux sanguins de 25-OH2D3 augmentés.
Immobilisation ou apesanteur prolongées
Elles peuvent entraîner une augmentation de la résorption osseuse, une hypercalciurie et parfois une hypercalcémie en cas d’élimination rénale insuffisante du calcium.
Des cas d’hypercalcémies importantes ont été décrits chez des enfants en cas de para- ou de tétraplégie.
Tableau 3.
Symptômes de l’hypercalcémie aiguë sévère |
Signes généraux
asthénie diminution de la force musculaire déshydratation – polydipsie Signes rénaux polyurie lithiases rénales insuffisance rénale Signes digestifs anorexie nausées vomissements constipation douleurs abdominales Signes neurologiques syndrome dépressif signes cognitifs confusion mentale somnolence coma sans signe de localisation Signes cardiovasculaires hypertension artérielle raccourcissement de l’intervalle QT sur l’ECG sensibilité aux digitaliques troubles du rythme troubles de la conduction |
Tableau 4.
Hypercalcémies de cause néoplasique |
Hypercalcémie de cause ostéolytique locale
sein myélome multiple lymphome leucémie Hypercalcémie humorale tumeurs spinocellulaires, poumon, tête et cou, oesophage, col utérin carcinome du rein carcinome vésical carcinome ovarien carcinome mammaire Tumeurs produisant de la vitamine D Lymphomes Sécrétion ectopique de parathormone |