COMPLICATIONS DE LA TRANSFUSION MASSIVE
COMPLICATIONS PULMONAIRES
Signes cliniques
Une insuffisance respiratoire aiguë de type syndrome de détresse respiratoire de l’adulte (SDRA) peut être observée chez un patient ayant reçu une transfusion massive [18, 21]. Sa fréquence réelle n’a jamais été précisée par une étude prospective. Il est le plus souvent très difficile d’élucider les mécanismes qui déclenchent le SDRA dans le contexte d’une transfusion massive.
Cependant, la lésion qui justifie la transfusion massive et l’état hémodynamique sont des facteurs étiologiques importants. Dans quelques cas, un mécanisme immunologique précis a pu être identifié. Dans les cas habituels, l’insuffisance respiratoire aiguë apparaît dans les 2 à 4 heures suivant la transfusion d’au moins une à deux masses sanguines [18].
On note une dyspnée, une toux, une tachypnée, et des râles crépitants bilatéraux. La radiographie pulmonaire met en évidence un oedème pulmonaire interstitiel et alvéolaire bilatéral. Le débit cardiaque est normal ainsi que la pression capillaire pulmonaire ; en cas de transfusion très importante, celle-ci peut s’élever.
La ventilation artificielle avec pression expiratoire positive est souvent nécessaire et efficace pour traiter l’hypoxémie.
Physiopathologie
L’oedème pulmonaire peut avoir des causes multiples.
Dans quelques cas il s’agit d’un oedème pulmonaire cardiogénique favorisé par la rapidité de la transfusion, par les modifications physiopathologiques induites par la transfusion massive, par une transfusion excessive, par le grand âge du patient ou l’existence préalable d’une affection cardiovasculaire. En l’absence de ces facteurs favorisants, une altération de la membrane alvéolocapillaire est évoquée. Les lésions de la membrane alvéolocapillaire seraient dues aux différents médiateurs du choc, en particulier le TNF (” tumor necrosis factor “) libéré par les macrophages, les enzymes protéolytiques et les radicaux libres sécrétés par les leucocytes neutrophiles, et le PAF (” platelet activating factor “) sécrété par les plaquettes [18]. Les prostaglandines et les leucotriènes jouent également un rôle, mais ils seraient plus des marqueurs que des facteurs déclenchants. Il y a quelques années les microagrégats formés dans le sang conservé étaient considérés comme un facteur causal majeur du SDRA post-transfusionnel [21].
Les microagrégats sont constitués de plaquettes et de débris de globules blancs, enrobés par des filaments de fibrine.
Leur taille est inférieure à 200 μm, autorisant leur passage à travers les filtres ordinaires des tubulures de transfusion (170 à 230 μm).Ces microagrégats pourraient réaliser une obstruction mécanique des capillaires pulmonaires, et créer des zones ventilées mais non perfusées ; ils pourraient être à l’origine de la libération de médiateurs par les plaquettes et les leucocytes lésant la membrane alvéolocapillaire. Leur rôle exact reste controversé chez l’homme [5, 21]. En cas de SDRA de cause immunologique, le mécanisme invoqué est celui d’un transfert passif d’anticorps antileucocytaires du donneur dirigés contre des antigènes leucocytaires du receveur (antigènes HLA et/ou antigènes spécifiques des leucocytes). Les complexes immuns formés sont séquestrés dans les capillaires pulmonaires où ils activent le complément, et libèrent des enzymes protéolytiques et des radicaux libres [18]. Ces anticorps, ou leucoagglutinines, ont été isolés dans le sérum des donneurs et des receveurs. Il s’agit d’une immunoglobuline de type IgM. Ce mécanisme peut être en cause après administration de plasma frais congelé [3].
Prévention
Les microfiltres
dont les pores ont en moyenne 40 μm permettent d’éliminer les microagrégats.
Ces microfiltres sont de deux types. Les filtres à adsorption (” depth filter “) qui retiennent les agrégats par impaction et adsorption, et les filtres à tamis (filtre Pall) qui agissent comme les filtres standards.L’efficacité des filtres à microagrégats (40 μm) dans la prévention des complications pulmonaires de la transfusion massive n’a jamais été prouvée [5]. Les microfiltres peuvent opposer une résistance supplémentaire à la transfusion et en ralentir le débit. Cependant les filtres actuels, s’ils sont changés toutes les 4 à 6 unités globulaires ne limitent pas le débit transfusionnel. Ils réduisent les réactions fébriles post-transfusionnelles dues aux leucocytes contenus dans les microagrégats. La transmission du cytomégalovirus contenu dans les leucocytes est prévenue par les microfiltres.
Leur utilisation est conseillée chez les patients immunodéprimés. Les microfiltres arrêtant les plaquettes, ils ne doivent pas être utilisés pour la transfusion des concentrés plaquettaires. L’utilisation d’hématies déleucocytées est conseillée en cas de transfusion massive, car elle permet théoriquement de s’opposer à certains mécanismes du SDRA. Dans la survenue de ce dernier, les autres facteurs jouent un rôle essentiel et il faut insister, dans sa prévention, sur l’importance du traitement de la cause de l’hémorragie et de l’état de choc associé.
COMPLICATIONS MÉ TABOLIQUES
Variations de la kaliémie
Une transfusion massive peut s’accompagner aussi bien d’une hyperkaliémie que d’une hypokaliémie.
Lors de la conservation du sang, le potassium est libéré par les globules rouges par défaut de fonctionnement des pompes membranaires et par hémolyse. La concentration en potassium des poches de concentrés globulaires augmente proportionnellement à leur durée de conservation, pour atteindre en moyenne 30 mmol/l vers la troisième semaine. Lors d’une transfusion massive, la kaliémie est susceptible d’augmenter, de manière le plus souvent transitoire. Un arrêt cardiaque par hyperkaliémie a été rapporté lors de l’utilisation d’un accélérateur-réchauffeur à haut débit [16]. Le plus souvent cependant, une correction spontanée s’opère par diffusion du potassium dans les espaces extracellulaires ou par élimination urinaire. Une hyperkaliémie préoccupante n’apparaît qu’en cas d’association à un état de choc avec acidose métabolique ou à une anurie. L’apparition de grandes ondes T pointues sur l’électrocardioscope doit entraîner la prescription de chlorure de calcium, plus rapidement actif que l’administration de bicarbonate.
Cependant, la kaliémie est le plus souvent abaissée au cours d’une transfusion massive [5, 9]. Cette hypokaliémie est une hypokaliémie de transfert favorisée par l’alcalose métabolique, et la libération de catécholamines endogènes. Elle se rencontre aussi au décours de la transfusion par réintégration du potassium dans les hématies transfusées.
Variations de la calcémie
L’hypocalcémie est la conséquence de la chélation du calcium ionisé par le citrate utilisé comme anticoagulant. La concentration de citrate est cependant beaucoup plus faible dans les concentrés globulaires que dans le sang total. En effet, une grande partie du citrate est supprimée lors du processus de séparation du plasma. Le citrate transfusé subit une transformation hépatique en bicarbonate après pénétration dans le cycle de Krebs. Le citrate est aussi éliminé par le rein. Par ailleurs, la mobilisation du calcium osseux est rapide.Le métabolisme du citrate est altéré en cas de choc sévère, d’hypothermie ou de maladie hépatique préexistante.L’hypocalcémie peut être à l’origine de complications cardiovasculaires. En revanche l’hypocoagulabilité liée à l’hypocalcémie n’a jamais été confirmée. L’hypocalcémie est responsable d’une dépression myocardique avec chute de la pression artérielle et élévation de la pression veineuse centrale. A l’électrocardiogramme l’intervalle QT peut être allongé. Idéalement, un dosage du calcium ionisé confirme le diagnostic. En cas de forte présomption, une administration de calcium peut être réalisée. Le calcium est de préférence administré sous forme de chlorure de calcium qui contient 4 fois plus de calcium ionisé que le gluconate. 1 g de chlorure de calcium (10 ml à 1 %) apporte environ 9,1 mmol de calcium. L’administration systématique de sels de calcium au cours d’une transfusion doit être proscrite, en dehors de débits très rapides et des circonstances associées à une dysfonction hépatique [5, 9, 10]. L’administration de calcium est systématique lors de la transplantation hépatique. Dans ce cas l’on observe fréquemment une hypocalcémie lors de la phase d’anhépatie [5].
Troubles de l’équilibre acide-base
Le sang conservé sur citrate est riche en acides,
produits du métabolisme érythrocytaire (acides lactique et pyruvique, gaz carbonique), et en citrates.
Lorsque l’état cardiovasculaire est normal, l’organisme tamponne aisément cette charge acide supplémentaire. Une acidose métabolique au cours d’une transfusion massive est donc surtout en rapport avec un état de choc associé.
Une alcalose métabolique peut résulter de la transformation des citrates et du lactate des solutés de Ringer lactate® en bicarbonate. L’alcalose sera aggravée par la perfusion de solutés de bicarbonate, et par l’hyperventilation des patients traités par la ventilation, mécanique. L’alcalose favorise l’hypokaliémie, l’hypocalcémie et majore l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène.La surveillance de l’équilibre acidobasique au cours et au décours d’une transfusion massive permet de guider la correction éventuelle d’une anomalie acidobasique, l’administration de bicarbonates n’étant justifiée que par une acidose métabolique décompensée.
Affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène
La concentration
de 2,3-diphosphoglycérate (2,3-DPG)diminuedans les concentrés globulaires.
Cette déplétion déplace la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine vers la gauche. La diminution du 2,3-DPG est cependant moins importante avec les solutions de conservation contenant de l’adénine. Cette dernière permet de maintenir un taux de 2,3- DPG proche de la normale durant les 2 premières semaines de conservation. Les globules rouges conservés ont une affinité pour l’oxygène augmentée, ce qui peut gêner le relargage tissulaire de l’oxygène. La signification clinique de ceci est difficile à évaluer, et pourrait intervenir en cas d’anémie, d’hypovolémie, d’insuffisance coronarienne et cérébrale. Les effets de la déplétion en 2,3-DPG sont en partie contrebalancés par l’acidose.
Divers
Les solutions de conservation contiennent du phosphate pour le maintien de l’acide adénosine triphosphorique (ATP) érythrocytaire. Cependant cet apport de phosphate est faible par rapport au pool des phosphates de l’organisme et le plus souvent on constate une hypophosphorémie.
L’ammoniémie augmente dans le sang conservé. Il s’agit d’une quantité faible qui est rapidement distribuée et métabolisée dans l’organisme.La plupart des solutions de conservation contiennent de l’adénine. Environ 2 à 5 % de l’adénine sont transformés en 2, 8-dihydroxy-adénine qui est peu soluble dans les urines et pourrait cristalliser dans les tubules. En fait, la plus grande partie de l’adénine est consommée par les globules rouges, et le risque de toxicité est plus théorique que réel.
Introduction dans la circulation d’éléments ” indésirables “
Des substances vasoactives comme la sérotonine et l’histamine peuvent être libérées par les leucocytes et les plaquettes du sang conservé. Ces substances pourraient jouer un rôle dans la survenue des complications cardiovasculaires et pulmonaires. Les poches plastiques sont en polychlorure de vinyle et leurs caractéristiques physiques sont améliorées par l’adjonction de plastifiants qui sont des phtalates. Au cours de la conservation, ceux-ci sont en partie relargués vers le sang et ils sont fixés par la paroi des érythrocytes. Les phtalates sont peux toxiques chez l’animal. On ne connaît pas d’effets secondaires chez l’homme. Ce problème devrait être résolu dans les années à venir par l’utilisation de plastiques différents. Dès à présent, les poches de certains fabricants ne contiennent plus de phtalates.
CONCLUSION
L’amélioration parallèle de la qualité des produits sanguins homologues et des techniques de réchauffement et d’accélération explique que la transfusion massive soit devenue plus sûre et plus efficace. La survenue d’un syndrome hémorragique diffus reste la complication la plus grave. La persistance de l’hémorragie malgré la transfusion est le plus souvent liée à la cause de l’hémorragie qui n’est pas accessible à un traitement médical ou chirurgical efficace.
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