Conduite à tenir au cours des troubles de la coagulation

La diminution de l’activité coagulante d’une protéine est due à quatre mécanismes : la réduction de sa synthèse, une synthèse anormale, l’accélération de son catabolisme, la présence d’un inhibiteur. Les deux premiers mécanismes sont seuls en cause pour les troubles d’origine congénitale, mais tous les quatre sont impliqués pour les troubles acquis.
Déficits du système contact
Ils provoquent des allongements des tests de la coagulation in vitro, mais in vivo ils sont rarement la cause d’hémorragies en raison des suppléances dans les voies de la coagulation.
Déficit en facteur XI
fait, est souvent ignorée dans les autres ethnies [4, 18, 56, 80]. L’exploration préopératoire, lorsqu’elle est faite, met en évidence un allongement du temps de céphaline activé. Bien que le risque hémorragique ne soit pas strictement corrélé avec le taux de facteur XI, le traitement préopératoire doit élever ce taux à plus de 30 % par la transfusion de plasma frais congelé viroatténué à la dose de 10 à 30 ml/kg, et maintenir cette concentration par une transfusion d’entretien de 5 ml/kg tous les 2 jours. Récemment, un concentré en facteur XI de haute pureté a été préparé par le Centre régional de transfusion sanguine de Lille et il est utilisé à la dose de 30 U/kg en bolus. L’apparition d’un inhibiteur du facteur XI après le traitement est exceptionnelle [19, 88].
Déficit en facteur XII
Ce déficit ne provoque pas d’hémorragie et ne nécessite donc aucun traitement pour une intervention chirurgicale.
En revanche, en raison du rôle joué par ce facteur dans l’activation de la fibrinolyse, son déficit peut être la cause d’une thrombose. Déficits en prékallicréine (facteur Fletcher) et en kininogène de haut poids moléculaire (facteur Fitzgerald ou Flaujeac) Ils sont sans risque et ne nécessitent aucune correction.
Déficits en facteurs VIII et IX
En raison de leur relative fréquence et de leur gravité, les hémophilies A et B méritent un plus long développement que les autres déficits. En effet, l’hémophilie grave atteint en France un sujet sur 10 000 environ, tandis que les cas d’hémophilie modérée ou fruste sont trois fois plus nombreux. En théorie, le nombre d’hémophiles devrait croître au fur et à mesure que les traitements font diminuer la mortalité et augmenter le nombre de procréateurs. L’hémophilie est une maladie héréditaire récessive, liée au chromosome X, n’atteignant que les garçons, les filles étant conductrices. Exceptionnellement, des femmes peuvent être considérées comme de vraies hémophiles : les homozygotes pour la tare (nées de père hémophile et de mère ” porteuse “) et lors de l’association d’un syndrome de Turner (XO) et de l’hémophilie. Dans les familles où il existe un risque de donner naissance à un hémophile, il est possible de faire un diagnostic anténatal à partir de la 10e semaine. Il faut souligner que dans 30 % des cas la tare n’est pas retrouvée dans la famille de la mère, ce qui est expliqué par une mutation ou une transmission silencieuse pendant plusieurs générations [49].
Enfin, l’hémophilie A se différencie de l’hémophilie B par : sa plus grande fréquence (5 à 10 fois plus fréquente que la B) ; l’association possible de l’hémophilie A à d’autres maladies héréditaires telles que le déficit en G-6-PD (glucose-6-phosphate-déshydrogénase) ou l’albinisme dont les gènes responsables se trouvent également sur le chromosome X ; une tendance hémorragique plus marquée chez les porteuses de la tare hémophilique B.
Diagnostic
Le diagnostic clinique est facile chez l’adulte.
Il est fondé sur les antécédents et la description du syndrome hémorragique. Cependant, l’enfant est en général à l’abri des traumatismes pendant les premières années de sa vie et il peut, en l’absence d’antécédents familiaux connus, ne révéler sa maladie qu’au cours de l’intervention : circoncision, chirurgie néonatale. A l’inverse, les tests biologiques permettent presque toujours le diagnostic (tableau IX).
Exploration biologique
L’anomalie du temps de céphaline activé, sans anomalie du temps de Quick, conduit à des examens complémentaires pour identifier le déficit et évaluer le risque. Selon le taux de facteur VIII ou IX, les hémorragies sont spontanées ou provoquées (tableau X). Si le taux est supérieur à 30 % le risque de saignement est réduit sinon absent. Entre 15 et 30 %, les hémorragies apparaissent toujours à l’occasion d’une intervention chirurgicale. Entre 5 et 15 %, le malade saigne au moindre traumatisme et au-dessous de 5 %, les hémorragies sont spontanées. Dans ces conditions, la femme porteuse d’un chromosome X anormal et dont les taux des facteurs VIII ou IX sont en général de 25 à 50 % échappe au risque hémorragique quotidien mais doit être surveillée au cours d’un acte opératoire. Il faut donc de parti pris dépister les conductrices. Pour l’hémophilie A, le moyen approprié est l’évaluation du rapport activité VIII antigénique/activité VIII coagulante. Pour l’hémophilie B, le taux de facteur B est comparé aux trois autres facteurs vitamine K dépendants, qui sont à des taux normaux. Ces tests ne sont pas toujours suffisants et il est impossible de dépister toutes les vectrices en dehors de laboratoires spécialisés [94].
Enfin, un petit nombre d’hémophiles (moins de 10 %) développe des anticorps anti-VIII ou anti-IX après des transfusions de concentrés, sans qu’il y ait une relation entre le nombre de transfusions et la fréquence de l’immunisation. Le diagnostic biologique est fondé sur l’absence de correction du temps de céphaline activé du plasma du malade par un plasma normal. Il est indispensable de doser la puissance de cet anticorps pour en tenir compte lors du traitement.
Précautions
Il faut donc que les soins apporté à ces malades, tels que la mobilisation, l’intubation, la mise en place de voies veineuses et de sondes urinaires, soient les moins traumatisants possible. Les injections intramusculaires sont interdites.
Traitement substitutif
Avant l’intervention, il faut administrer la dose qui permet d’obtenir un taux plasmatique de 70 à 80 %. Ce résultat est obtenu, selon l’importance du déficit, par l’administration de doses de 20 à 50 U/kg de concentrés en facteur VIII ou en facteur IX. Pour l’hémophilie A modérée ou mineure, ces apports peuvent être réduits grâce à l’emploi de la desmopressine, selon le protocole déjà exposé. Pendant et après l’intervention, le taux doit être maintenu au-dessus de 30 %. Compte tenu de la durée de vie de 12 heures pour le facteur VIII et de 24 heures pour le IX, il faut des transfusions de 20 à 40 U/kg toutes les 8 heures environ pour le premier, et toutes les 12 heures pour le second, selon les résultats des contrôles biologiques réalisés juste avant la transfusion.
La surveillance est limitée pour la plupart des contrôles au seul temps de céphaline activé.La perfusion continue de facteur antihémophilique est préférée aux injections discontinues.L’utilisation de concentrés écarte le plus souvent, même chez l’enfant, le risque de surcharge circulatoire. Les réactions allergiques (céphalées, urticaire, frissons) sont rares. L’absence d’anticorps de groupe érythrocytaire permet de ne pas tenir compte de la compatibilité dans le système ABO. La durée du traitement n’est jamais inférieure à 8 jours ; elle est de 2 à 3 semaines pour la chirurgie digestive et osseuse. Chez l’hémophile qui a un anticorps circulant, il faut augmenter la quantité de facteur apportée pour saturer l’anticorps. Ainsi, cette quantité tient compte à la fois de la concentration en facteur et du titre de l’anticorps, déterminés par le laboratoire. L’intervalle entre deux injections est écourté, mais il est préférable d’installer une perfusion continue pour maintenir un taux stable. En présence d’un taux élevé d’anticorps, une épuration plasmatique est nécessaire. Elle est réalisée par une plasmaphérèse ou par une immunoadsorption sur sépharose couplé à du facteur VIII ou du facteur IX [70]. Le recours au facteur VIII porcin est exceptionnel en raison d’effets secondaires tels que l’agrégation des plaquettes humaines ou une réponse immune importante. L’utilisation de concentrés en facteur IX partiellement activé et contenant du II et du X (FEIBA et Autoplex) permet de court-circuiter le facteur VIII. Cependant, le risque de provoquer une CIVD n’est pas négligeable.
Hémostatiques
Les hémostatiques locaux ou généraux sont souvent employés de façon complémentaire.
Ainsi, les antifibrinolytiques (acide epsilon-aminocaproïque) ont pour effet, après une extraction dentaire ou une amygdalectomie, de neutraliser les enzymes présentes dans la salive et susceptibles de lyser trop rapidement les caillots, ce qui faciliterait la reprise du saignement. A l’inverse, ils sont proscrits au cours des hématuries.
Autres traitements
Le traitement de l’hémophilie comporte presque toujours des transfusions. Dans ce cas, les hématies transfusées doivent être déleucocytées et déplaquettées pour éviter une immunisation du malade.
Maladie de von Willebrand:Bien que le vWF soit plasmatique, son déficit se traduit par un trouble de l’hémostase primaire en raison d’une anomalie de l’adhésion des plaquettes à la paroi vasculaire.
Cependant, ce facteur a également un rôle de transport et de protection du facteur VIII (antihémophilique A). De ce fait, le taux de facteur VIII est plus ou moins diminué et la maladie de von Willebrand associe un trouble de la coagulation plasmatique à un trouble de l’hémostase primaire. Le vWF est présent dans le plasma, les plaquettes et les mégacaryocytes, les cellules endothéliales et le sous-endothélium. La maladie est héréditaire, autosomale et dominante. A la différence des hémophilies A et B, filles et garçons sont atteints indifféremment. L’affection est la plus grave chez les homozygotes. La fréquence de cette maladie est difficile à préciser en raison de ses nombreuses formes d’expression clinique, mais elle est relativement élevée. En effet, à cause de la structure multimérique du vWF, il existe de nombreux variants, ce qui rend parfois le diagnostic malaisé [16, 46, 85]. Le type 1 représente 90 % des cas de maladie de von Willebrand. Ce type est caractérisé par la diminution de tous les multimères. Cependant, la grossesse, les strogènes, les atteintes hépatiques, les désordres inflammatoires peuvent corriger un temps de saignement anormal car ces états ont pour effet d’augmenter le vWF plasmatique. Le type 2 est caractérisé par des anomalies qualitatives variables qui consistent en la diminution ou la disparition de certains multimères. Le type 2-a est défini par l’absence de multimères de haut poids moléculaire à la fois dans le plasma et dans les plaquettes, tandis que pour le type 2-b, ces multimères sont présents en grande quantité sur la surface de la membrane plaquettaire. Pour le type3, qui est le plus sévère (au moins dans l’enfance et l’adolescence, car les symptômes s’atténuent ensuite), mais aussi le plus rare (car la maladie est autosomale récessive), les molécules de vWF sont indétectables dans le plasma, les plaquettes et les cellules endothéliales [16, 46]. De découverte récente, la maladie de von Willebrand ” Normandie ” (ou type 2 N) [67] est particulièrement trompeuse car elle simule l’hémophilie A (taux de facteur VIII entre 1 et 30 %), alors que tous les examens qui explorent le vWF sont normaux. L’anomalie porte sur la liaison entre le facteur VIII et le vWF qui est instable, ce qui a pour effet de raccourcir la durée de vie plasmatique du facteur VIII qui n’est plus ” protégé ” par le vWF. Enfin, il existe une pseudo-maladie de von Willebrand dont le diagnostic est également difficile. Elle est due à une anomalie plaquettaire caractérisée par une augmentation de l’affinité de la glycoprotéine GP 1 b pour le vWF, ce qui provoque à la fois la diminution du vWF dans le plasma et une thrombopénie par agrégation plaquettaire excessive.
Diagnostic clinique:caractérisée par des hémorragies des muqueuses. A la différence de l’hémophilie, les hématomes et les hémarthroses sont rarement observés, sauf dans les cas où le déficit important en vWF entraîne un déficit marqué du facteur VIII. Les manifestations hémorragiques ont une importance variable au cours de la vie du malade. Les formes frustes ne sont parfois révélées que par une intervention chirurgicale. Un saignement abondant peut n’apparaître que tardivement (7 à 10 jours) après un accouchement car le vWF est augmenté pendant la grossesse.
Exploration biologique
L’exploration biologique systématique suffit en général au dépistage (tableau X).
L’association d’un allongement du temps de saignement et du temps de céphaline activé (qui est sensible au déficit en facteur VIII) est évocatrice. Le dosage spécifique de l’activité von Willebrand par le dosage immunologique de l’antigène (vWF Ag) et du cofacteur de la ristocétine (Rco) confirme la maladie et précise le type (tableau XI). Cette précision est indispensable pour établir le traitement. Cependant, le manque de sensibilité des tests ne permet pas le dépistage des formes modérées. Enfin, dans les circonstances déjà citées, le diagnostic est difficile à établir rapidement car cette exploration est confiée à des laboratoires spécialisés.
Traitement substitutif:Une dose de concentré spécial Willebrand de 40 à 50 U/kg est transfusée avant l’intervention et cette dose est renouvelée toutes les 8 à 12 heures pour maintenir une concentration plasmatique en vWF de l’ordre de 30 %. L’allongement du temps de saignement n’est qu’en partie corrigé pendant une courte durée de 2 à 6 heures, alors que le taux de facteur VIII augmente très nettement. Le dosage spécifique du vWF permet éventuellement le contrôle des doses à administrer, mais cette surveillance biologique est difficile à réaliser en routine.
Des concentrés de facteur VIII ont pu être préparés de telle sorte que les multimères de grande taille soient conservés et ils s’avèrent efficaces dans le traitement de la maladie [46, 68].
La desmopressine est également utilisée avant l’intervention pour le type 1. En revanche, elle est contre-indiquée pour le type 2-b, car elle provoque des thrombopénies, et elle est inutile dans les autres circonstances, puisque l’augmentation du taux d’un vWF anormal n’a pas d’intérêt.
Déficits du complexe prothrombinique
Déficits congénitaux ou acquis
Les déficits congénitaux sont rares. Ils portent sur un seul facteur, sauf quelques rares exceptions. C’est le cas d’une anomalie génétique unique qui associe les déficits en facteur V et VIII [91]. Ils sont soit quantitatifs par diminution de la synthèse du facteur II, V, VII ou X, soit qualitatifs par une anomalie moléculaire de la protéine. Les déficits acquis sont les plus fréquents et portent presque toujours sur plusieurs facteurs. Ils sont dus : à une diminution de la synthèse par insuffisance hépatocellulaire ; des déficits en fibrinogène et en facteur XIII sont souvent associés (cirrhose, hépatite toxique ou infectieuse, hépatite chronique) ; à une anomalie de la synthèse des facteurs II, VII, et X par l’absence de vitamine K, ce qui provoque la mise en circulation de facteurs inactifs appelés PIVKA (” protein induced vitamine K absence “) ; il en est ainsi au cours de l’alimentation parentérale prolongée sans apport de vitamine K, des traitements antibiotiques prolongés, des résections intestinales étendues, des ictères par rétention, et chez le nouveau-né ; à une consommation de facteurs par CIVD ; à l’apparition d’un anticoagulant circulant.
Cette dernière cause, ainsi que l’avitaminose K provoquée par les traitements antivitamine K feront l’objet d’un exposé particulier. Enfin, le déficit isolé en facteur X, observé au cours de l’amylose primitive ou secondaire à un myélome, est dû à sa fixation sur la substance amyloïde.
Diagnostic
Il est fondé sur l’anamnèse et l’exploration biologique, puisque les hémorragies n’ont aucun caractère particulier. Le temps de céphaline activé et le temps de Quick sont allongés. Le dosage de chacun des facteurs rend compte de l’importance du déficit. Le retentissement hémorragique n’apparaît que pour des taux inférieurs à 20 %, mais il peutêtre absent pour des taux plus bas. Les anomalies qualitatives sont mises en évidence par des techniques immunologiques.
Traitement substitutif
Le PPSB est utilisé pour les déficits congénitaux en II ou en X, du plasma frais pour ceux en V et des concentrés en VII pour le déficit en ce dernier facteur. D’une manière générale, les doses injectées en début d’intervention sont de 20 à 40 UI/kg du facteur déficitaire et sont renouvelées en fonction de la durée de vie du facteur [30, 86]. Les déficits acquis, qui portent sur plusieurs facteurs, devraient représenter l’indication de choix du PPSB.
En réalité, la diminution de la synthèse au cours des insuffisances hépatocellulaires est souvent associée à une CIVD qui rend dangereuse son utilisation. Par ailleurs, le PPSB ne peut suffire à couvrir l’ensemble des déficits et il est préférable d’utiliser du plasma frais congelé viroatténué pendant l’intervention, en tenant compte cependant des risques de surcharge volémique. Ces risques sont en général absents, si les apports sont limités au maintien des taux de facteurs au-dessus de 30 %. Lorsque s’ajoutent des déficits en fibrinogène, et surtout en plaquettes, l’ensemble est révélateur d’une CIVD et nécessite un traitement particulier.
Autres traitements
Pour les avitaminoses K de l’adulte, une injection de 20 mg de vitamine K1, suivie pendant 2 ou 3 jours d’une injection quotidienne de 10 mg, est un traitement suffisant. Pour le nouveau-né, l’injection de 2 mg de vitamine K1 ou l’administration per os de 5 mg suffit à pallier ces déficits. Le PPSB doit être évité parce qu’il contient des fractions coagulantes partiellement activées, dangereuses pour un nouveau-né dont le système fibrinolytique est immature.
Déficits en fibrinogène
Anomalies de la synthèse du fibrinogène
Déficits congénitaux:Ils sont exceptionnels, qu’ils soient quantitatifs (afibrinogénémie ou hypofibrinogénémie) ou qualitatifs (dysfibrinogénémies).
L’afibrinogénémie est une tare à transmission autosomale récessive. Les manifestations hémorragiques sont précoces. La plus caractéristique est l’hémorragie du cordon ombilical à la naissance. L’hypofibrinogénémie est transmise selon le même mode. La précocité et la sévérité des manifestations sont fonction du taux de fibrinogène. Tous les tests de l’exploration biologique globale (temps de céphaline activé, temps de Quick) sont perturbés.Le temps de saignement est également allongé, car en l’absence de fibrinogène l’agrégation plaquettaire est perturbée.
L’allongement du temps de thrombine et le dosage du fibrinogène par des méthodes chronométriques et immunologiques rendent compte du déficit.
Les dysfibrinogénémies sont des anomalies moléculaires du fibrinogène. Ces anomalies portent le nom de la ville où l’affection a été découverte. La tare est autosomale dominante. La découverte peut être fortuite, car le syndrome hémorragique est discret ou absent. Il existe même un risque thromboembolique non négligeable, car la fibrine anormale ne retient pas la thrombine et elle est moins sensible à l’action de la fibrinolyse que la fibrine normale. L’exploration biologique montre des perturbations semblables à celles de l’hypofibrinogénémie. La dissociation entre le taux de fibrinogène déterminé par une méthode chronométrique et celui mesuré par une méthode immunologique confirme le diagnostic. D’autres investigations sont indispensables pour préciser l’anomalie.
Déficits acquis
Les hypofibrinogénémies apparaissent au cours des atteintes hépatocellulaires graves. Elles sont dues à un défaut de synthèse et sont parfois associées à un syndrome de défibrination ou CIVD. Des cas exceptionnels de dysfibrinogénémies acquises ont été rapportés au cours des hépatites virales, des hépatomes et des cirrhoses.
Traitement substitutif
Un taux de fibrinogène de 1 g/l permet une hémostase efficace. La dose de produit à injecter avant l’intervention doit tenir compte de ce taux, et la dose d’entretien, de la durée de vie du fibrinogène. Il existe un risque de voir apparaître un anticorps antifibrinogène.
Défibrinations
Les défibrinations surviennent le plus souvent pendant ou après une intervention.
Cependant, des affections telles que le cancer de la prostate ou certaines hémopathies sont susceptibles de s’accompagner d’une défibrination latente.
D’autres affections, telles que les chocs, les traumatismes majeurs, des infections, les hématomes rétroplacentaires, les rétentions d’uf mort, les toxémies gravidiques, peuvent provoquer une défibrination aiguë. Enfin, une intervention ou une réintervention peuvent être nécessaires chez un malade atteint d’un syndrome de défibrination aiguë. Le déficit acquis en fibrinogène procède de deux mécanismes : sa consommation ou sa destruction.En pratique, les deux mécanismes sont presque toujours en cause et l’association avec d’autres déficits (plaquettes et facteurs de coagulation) provoque des manifestations hémorragiques qui sont rassemblées indifféremment sous les termes de syndrome de CIVD, de coagulopathie de consommation, de coagulation-fibrinolyse [58, 89]. Par ailleurs, bien que la liste des circonstances au cours desquelles ce syndrome est susceptible de survenir soit établie, il est à l’inverse difficile d’affirmer si ce syndrome en est la cause ou la conséquence. Dans un grand nombre de cas, il existe des anomalies biologiques sans manifestations cliniques [89].Dans les autres cas, le saignement diffus en nappe pendant l’intervention, les hémorragies des muqueuses et des points de piqûres sont caractéristiques de la CIVD. En obstétrique, l’hémorragie est abondante, sans tendance à coaguler et les caillots sont lysés rapidement. Des atteintes cutanées (acrocyanose des extrémités, purpura nécrotique extensif), des atteintes viscérales précoces (rénale, hépatique, pulmonaire, neurologique) ou tardives (surrénalienne ou hypophysaire) sont des complications redoutées.
Diagnostic biologique
Il doit confirmer non seulement la défibrination, mais préciser également le mécanisme : CIVD avec fibrinolyse ou fibrinolyse pure. Il doit aussi faire appel à des examens valeurs antérieures pour juger de l’évolution d’un paramètre. En outre, en raison de la succession des phases de coagulation et de fibrinolyse, ainsi que des modifications dues aux traitements (dilution ou compensation), la valeur informative de ces examens est réduite. Pour cette raison des scores ont été établis à partir des résultats du laboratoire afin d’étayer le diagnostic et de préciser le degré de gravité. Ces scores biologiques sont bien corrélés avec la mortalité, mieux que ne le sont les scores cliniques [58]. Les dosages du fibrinogène, du D-dimère, du facteur V et du taux de plaquettes sont les examens les plus importants à retenir en raison de leur performance dans ces scores, de la rapidité de leur exécution et donc de la possibilité d’en renouveler fréquemment la demande.
Traitement
La recherche d’une cause locale de l’hémorragie doit être obstinée. Dans la plupart des cas son traitement suffit à interrompre le processus de CIVD et obtenir une guérison rapide. Le plasma viroatténué est le meilleur moyen de remplacement des facteurs déficitaires. En effet, chaque unité apporte 1 g de fibrinogène, les autres facteurs de l’hémostase (même les facteurs labiles), et de l’antithrombine. L’utilisation de l’héparine est discutée, car son efficacité est incertaine, son administration n’est pas sans danger et le mécanisme de la CIVD est toujours difficile à prouver. Elle ne peut être utilisée qu’en l’absence d’hémorragies incontrôlées et de contre-indications telles que des lésions neurologiques, une insuffisance hépatique, une hypertension artérielle non stabilisée. Les doses sont faibles de l’ordre de 30 à 100 UI/kg/24 h. Par ailleurs, comme l’héparine n’est active que lorsqu’elle est associée à son cofacteur l’antithrombine III, et que ce dernier est consommé au cours de la CIVD, un apport sous la forme d’une dose de charge de 20 à 30 UI/kg est nécessaire. L’utilisation de l’antithrombine III, seule sans héparine, a été proposée à la dose de 30 à 50 UI/kg/24 h [60] ou à des doses plus fortes [5].
Parmi les médicaments à activité antifibrinolytique, les acide epsilon-aminocaproïque et tranexamique sont proscrits. Seule l’aprotinine est parfois utilisée à la dose de 2 à 5 millions d’UIK en intraveineuse lente, à condition qu’un processus de fibrinolyse soit prouvé par le raccourcissement (moins de 30 minutes) du temps de lyse des euglobulines (test de von Kaulla). Mais ce traitement doit être suivi d’une héparinothérapie à la dose de 200 UI/kg pendant 24 heures en perfusion, dose qui permet d’obtenir pour le malade un temps de céphaline activé une fois et demie celui du témoin.
Déficit en facteur XIII
La transmission de l’anomalie est récessive.
L’affection est reconnue dans les premiers jours de la vie par une hémorragie au cours de la section ou de la chute du cordon ombilical. Ce déficit entraîne plus tard des hémorragies graves (intracrâniennes), et chez la femme des avortements à répétition très hémorragiques. Dans la période postopératoire, l’affection se caractérise par la reprise du saignement 2 à 3 jours après l’intervention, ainsi que par un retard de la cicatrisation. Ce déficit ne peut être mis en évidence par l’exploration biologique de première intention et un dosage spécifique du facteur XIII est nécessaire. Le traitement substitutif est réalisé grâce à du plasma frais viroatténué. Il est toujours suffisant car le taux nécessaire pour une hémostase correcte est faible (5 %) et la durée de vie du facteur est longue. Des préparations commerciales de facteur XIII d’origine placentaire (Fibrogamine) permettent un apport sous un faible volume (4 ml correspondent à 250 ml de plasma). Ce produit est contre-indiqué en cas de thromboses récentes ou de CIVD.
Antithrombotiques thérapeutiques
Antivitamines K (AVK)
pas une circonstance exceptionnelle (sujets porteurs de prothèses valvulaires, atteints de cardiopathies emboligènes, de thromboses veineuses récidivantes).
Conduite à tenir avant et après l’intervention
Elle doit tenir compte des indications de ce traitement, de la catégorie de l’AVK, du résultat des contrôles biologiques et de la nature de l’intervention [38].
Selon la nature de l’intervention
Ainsi, un traitement local permet d’interrompre un saignement provoqué par une extraction dentaire et le traitement par les AVK peut être maintenu ou seulement suspendu pendant 36 heures, de façon à obtenir un temps de Quick exprimé en taux de prothrombine (TP) à 50 % ou en INR (” international normalized ratio “) voisin de 2.Il n’en est pas de même pour les interventions viscérales et celles où l’hémostase est mal contrôlée par la vue du chirurgien.
Selon les indications des AVK
Si l’indication des AVK est indiscutable, il faut : en l’absence d’une urgence chirurgicale, suspendre le traitement et réaliser un relais par l’héparine pendant 8 jours, avec pour objectif le maintien du sujet dans une zone de légère hypocoagulabilité biologique ; en cas d’urgence, corriger le déficit s’il est important (TP inférieur à 20 %) par la transfusion de PPSB ; cette situation est de moins en moins fréquente depuis l’usage de faibles doses d’AVK dans un grand nombre d’indications ; s’il s’agit d’une AVK dont l’action est de courte durée, le relais par l’héparine doit être institué le lendemain, et dans les autres cas, le deuxième ou le troisième jour. Si l’indication des AVK n’est pas absolue, les héparines sont utilisées aux doses habituelles de la prophylaxie et la reprise du traitement par les AVK est de nouveau discutée.
Selon la catégorie des AVK
Si la durée d’action est courte (Pindione, Sintrom), l’arrêt du traitement ou la diminution des doses permet d’obtenir en moins de 36 heures des taux de facteurs compatibles avec une hémostase satisfaisante. Si la durée de vie est longue (Préviscan, Coumadine, Apegmone) et si un traitement substitutif par le PPSB est indispensable, il peut être nécessaire de le renouveler en fonction du résultat du contrôle de laboratoire.
Conduite à tenir devant une complication hémorragique des AVK
L’incident mineur (gingivorragie, ecchymoses de moyenne importance…) impose la diminution de la dose ou l’arrêt pendant 24 heures, car la correction biologique est obtenue rapidement dans la majorité des cas.
Le saignement important, mais qui ne met pas en jeu la vie du malade (hématuries, métrorragies…) est contrôlé par l’arrêt du traitement et l’injection de 5 à 10 mg de vitamine K1 par voie intraveineuse. L’incident grave pour le pronostic vital (hématomes intracérébraux, hémorragies cérébroméningées, hémoptysies, hématémèses…) ou le pronostic fonctionnel (hématomes du psoas…) et au cours duquel les taux de facteurs sont inférieurs à 10 %, nécessite l’administration de la vitamine K1, ainsi que l’apport de PPSB (0,5 ml/kg) ou du plasma frais viroatténué (2 unités).
Héparines non fractionnée (HNF) et de bas poids moléculaire (HBPM)
présente pas de difficulté majeure. En raison de la durée de vie réduite des héparines dans le plasma, il suffit d’interrompre provisoirement le traitement.
Pour les complications hémorragiques postopératoires, la conduite à tenir est codifiée [38] : les accidents mineurs nécessitent la diminution des doses injectées ; celles-ci doivent être ajustées grâce aux résultats du laboratoire ; les accidents majeurs sont traités par l’injection intraveineuse de protamine ; la dose utile est de l’ordre de 0,25 à 0,50 mg/kg, à renouveler 3 heures plus tard dans le cas d’une HBPM ou d’une HNF sous-cutanée ; les thrombopénies induites par l’héparine sont plus fréquentes avec les HNF qu’avec les HBPM ; elles se manifestent par une thrombose ou une CIVD ; le diagnostic biologique a été amélioré grâce à une technique récente de recherche des anticorps antifacteur 4/héparine [15] ; les hémorragies sont graves par leur localisation (surrénales par exemple) ; l’arrêt de toute héparine s’impose et l’anticoagulation est poursuivie par les AVK ; cependant, la prostacycline de synthèse, en association avec l’héparine standard, a permis de réaliser des CEC en cas d’antécédents ou en présence d’une thrombopénie induite par l’héparine [66].
Le risque hémorragique des traitements anticoagulants est dépendant de la maladie. Au cours des cancers, des séries rétrospectives font état d’hémorragies graves dans un quart des cas et le remplacement de l’anticoagulation par une interruption de la veine cave est proposé dans ces situations [15, 17].
Antiagrégants plaquettaires
Ces médicaments majorent le risque hémorragique au cours des traitements de longue durée.
Ce risque est plus important pour la ticlopidine que pour l’aspirine.Toutefois, chez ces malades, la preuve d’une augmentation nette et dangereuse du saignement au cours d’un acte chirurgical n’est pas apportée [92].
Par ailleurs, il existe une sensibilité individuelle à ces traitements.Enfin, la perturbation du temps de saignement ou des tests d’agrégation plaquettaire ne permet pas de prévoir formellement le risque hémorragique [82].Il paraît donc prudent de différer une intervention, lorsque celle-ci n’est pas urgente.En effet, si des hémorragies de grande abondance telles que celles provoquées par les anticoagulants ne sont pas à redouter avec les antiagrégants plaquettaires, des saignements se développent de manière insidieuse.Pour une intervention d’urgence, l’intérêt de l’administration préopératoire de la desmopressine ou des corticoïdes n’a pas été démontré. Si le risque est considéré comme important ou en cas de complications hémorragiques, il est préférable d’administrer 1 unité de concentrés plaquettaires pour 10 kg de poids [26].
Anticoagulants circulants d’origine immunologique
Ce sont des inhibiteurs acquis et anormaux de la coagulation. Ils peuvent survenir à l’occasion de la transfusion d’un facteur de la coagulation chez un sujet qui en est dépourvu. C’est le cas de l’hémophile A qui développe un anti-facteur VIII. Ces anticorps apparaissent parfois chez des sujets indemnes d’une anomalie de l’hémostase [35]. Ils sont dirigés soit contre un facteur bien précis, soit contre une phase entière de la coagulation.
Dans le premier cas, la manifestation est un syndrome hémorragique ; dans le second, il existe une tendance paradoxale à la thrombose.
La fréquence des premiers est faible, ce qui rend difficile l’établissement de la cause et du mécanisme. Ils ont le plus souvent observés au cours des hémopathies et des cancers (anti-V, anti-VIII et anti-vWF).
Les anticorps anti-X (myélome compliqué d’amylose) et anti-XI (cancers prostatique et colique) sont exceptionnels [8, 33, 55]. Ces anticorps surviennent parfois de façon inattendue au cours du post-partum, de certaines maladies auto-immunes.Parfois, un traitement est incriminé mais, le plus souvent, ils sont idiopathiques. L’évolution en l’absence de traitement se fait quelquefois vers la disparition spontanée, rarement pour l’anti-VIII, plus fréquemment pour l’anti-V [55]. Lorsque l’anticorps s’oppose à une phase de la coagulation en inhibant la prothrombinase, la cause la plus fréquente est le lupus érythémateux disséminé. Cet anticorps ne fait en général pas saigner, mais il peut provoquer indirectement une hémorragie par son action thrombopéniante.
Mise en évidence
Dans 10 % des cas, le diagnostic est fait en l’absence de tout syndrome clinique. Ce sont les anomalies biologiques qui font suspecter l’existence d’un anticorps. Un ou plusieurs tests (temps de céphaline activé, temps de Quick, temps de thrombine) sont perturbés et la correction n’est pas obtenue par l’addition de plasma normal. Une étude précise permet de déterminer la cible de cet anticoagulant, son titre et sa nature (IgG, IgA, IgM).
Traitement
Pour les anticorps dirigés contre une phase de la coagulation,
Le risque de thrombose l’emporte sur le risque hémorragique, et une anticoagulation est nécessaire. Pour un anticorps contre un facteur déterminé, le traitement fait appel à la corticothérapie (0,5 à 1 mg/kg/24 h), aux immunoglobulines polyvalentes (1 g/kg/j), aux agents immunosuppresseurs, mais les échecs sont fréquents. En période préopératoire il faut doser le taux d’anticorps et apporter des quantités de facteur en excès, sous la forme la plus concentrée, pour saturer l’anticorps. Pour l’inhibiteur du facteur V, les concentrés plaquettaires apportent du facteur V intraplaquettaire qui ne serait pas neutralisé par l’anticorps spécifique circulant [55], mais leur utilisation ne doit être considérée que comme un adjuvant dans des situations graves. Pour les anti-VIII, il est possible d’utiliser des fractions court-circuitant le VIII comme chez l’hémophile qui développe un anticorps. Enfin, des plasmaphérèses sont envisaenvisagées pour diminuer le titre de l’anticorps, avant l’administration du facteur déficitaire.
CONCLUSION
Les risques hémorragiques d’une intervention chirurgicale, lorsqu’ils sont dus à une anomalie de l’hémostase, peuvent être prévus et réduits dans la plupart des cas. Ces risques sont prévus grâce à un interrogatoire méticuleux, complété éventuellement par des explorations biologiques simples (sauf pour les thrombopathies). Ils sont réduits, sinon absents, lorsque les taux de facteurs de la coagulation sont supérieurs à 30 % de la normale, le taux de fibrinogène supérieur à 1 g/l et celui des plaquettes supérieur à 50 G/l.
La prévention et le traitement sont fondés sur l’apport de ces facteurs pour maintenir ces taux au cours et après l’intervention.