Diagnostic des thromboses veineuses postopératoires des membres inférieurs

Clinique
Si celle-ci n’est que d’un faible apport dans le diagnostic de certitude
des thromboses veineuses profondes [62], elle constitue néanmoins le premier échelon d’une démarche amenant à la découverte de la plupart des phlébites. Le signe d’appel le plus fréquent reste la douleur spontanée, localisée ou généralisée à tout le membre inférieur et retrouvée lors des manoeuvres de compression et de dorsiflexion du pied (signe de Homans). L’examen permet de découvrir un oedème dont la localisation est conditionnée par le caractère occlusif et l’extension du thrombus (une thrombose surale isolée sans atteinte du confluent poplité ne s’accompagne généralement pas d’oedème). Il s’y associe classiquement une augmentation de la chaleur locale et une dilatation des veines souscutanées, particulièrement les prétibiales appelées veines ” sentinelles “. Toute cette symptomatologie est d’autant plus évocatrice qu’elle est unilatérale.
Enfin, une fébricule peut être notée, de même qu’une tachycardie inexpliquée.Ces signes manquent de spécificité, en particulier après une chirurgie orthopédique où oedème et douleur sont habituels. Ils manquent également de sensibilité. Ils peuvent être masqués par la présence d’un plâtre et la sensation d’un plâtre trop serré doit toujours évoquer une possible thrombose. La douleur est souvent absente chez un sujet immobile et ne peut s’exprimer en cas de troubles de la conscience (coma, hémiplégie…). Ce défaut de sensibilité explique que 50 à 70 % des embolies pulmonaires soient révélatrices. C’est dire l’importance des examens paracliniques dans le contexte postopératoire.
Biologie
Longtemps considérée comme dénuée d’intérêt dans le diagnostic des phlébites, la biologie bénéficie d’un regain d’attention dû au développement du dosage plasmatique des Ddimères.
Il s’agit de produits de dégradation spécifiques de la fibrine témoignant de la fibrinolyse physiologique du patient et qui constituent donc un véritable marqueur de la thrombose. Le dosage s’effectue par 2 méthodes : soit immunoenzymatique (ELISA), soit par agglutination (LATEX), moins sensible mais plus rapide. Cette méthode a une très bonne valeur prédictive négative. Un test négatif permet en effet d’exclure le diagnostic avec une grande marge de sécurité (sensibilité de 100 % dans l’étude de Rowbotham [78], mais sa spécificité est médiocre (66 % dans le même travail) car divers processus pathologiques, tels un hématome ou un syndrome inflammatoire, peuvent être la cause de faux positifs. Dans le cas particulier de la chirurgie, certains auteurs [57] ont préconisé une surveillance biologique régulière par le dosage des D-dimères : l’élévation brutale de leur taux entre deux prélèvements, considérée comme suspecte, doit faire prescrire une exploration veineuse. En conclusion, ce dosage simple et d’un faible coût, peut permettre une réduction importante des explorations veineuses grâce à une première sélection des malades.
Phlébographie
Elle reste encore aujourd’hui la méthode de référence pour le diagnostic positif des thromboses veineuses profondes [83].La technique dite ” au fil de l’eau ” est le plus souvent utilisée : le patient étant en décubitus dorsal, le produit de contraste est injecté dans une veine du dos du pied. Un garrot, placé au-dessus des malléoles, empêche l’opacification du réseau superficiel. Une compression des veines fémorales au triangle de Scarpa permet un remplissage des veines des membres inférieurs par le produit de contraste. L’examen doit être bilatéral. Trois incidences sont nécessaires sur la jambe pour bien visualiser les veines surales. Des clichés de face sont suffisants pour le genou et la cuisse. L’opacification des veines iliaques et de la veine cave inférieure est obtenue ensuite par le lever de la compression des veines fémorales, associé à une surélévation brutale des deux jambes.Cette méthode est plus simple et moins dangereuse que la ponction directe fémorale.Seules deux images sont spécifiques de thrombose :la lacune endoluminale (fig. 1) apparaissant en clair et qui doit être retrouvée sur plusieurs clichés (l’arrivée d’une collatérale ou la présence de gaz intestinaux se projetant sur la veine cave inférieure peuvent parfois prêter à confusion) et l’arrêt en cupule du produit de contraste. L’absence d’un tronc veineux est moins caractéristique car elle peut être secondaire à une compression extrinsèque ou à une variation anatomique. Enfin, l’existence d’une circulation collatérale augmente la valeur des deux signes précédents ; elle est d’autant plus importante que la thrombose est plus ancienne.Les veines pelviennes ne sont jamais opacifiées et la veine fémorale profonde rarement (20 à 30 % des cas). De même, les veines musculaires du mollet et les veines jumelles échappent le plus souvent à la phlébographie.Il faut également tenir compte des variations anatomiques possibles, en particulier au niveau sural, mais parfois aussi fémoral (veine double) ou cave ; enfin, l’interprétation des clichés est sujette à une variabilité nonnégligeable selon l’observateur.Les inconvénients de la phlébographie sont bien connus. Elle nécessite une installation radiologique et expose aux rayons X. La ponction des
veines dorsales du pied est souvent douloureuse et l’injection peut se compliquer de réactions inflammatoires locales. Par ailleurs, si les accidents tels que la thrombose veineuse postphlébographique ou l’embolie pulmonaire survenant au cours de l’examen sont exceptionnels, les accidents anaphylactoïdes à l’iode sont toujours possibles. Ces raisons expliquent le développement actuel des méthodes diagnostiques non invasives et en particulier de l’écho-Doppler veineux.
Examens non invasifs
Fibrinogène marqué [35, 48]
Le principe de l’examen est l’utilisation du fibrinogène marqué à l’iode 125 qui s’incorpore aux caillots en voie de formation. Les mesures de radioactivité sont effectuées sur le trajet des veines profondes à l’aide d’un compteur à scintillation portatif. Cette méthode d’exploration est extrêmement sensible dans le dépistage des thromboses récentes suropoplitées et fémorales basses (sensibilité : 93 % dans l’expérience de Serradimigni [82]), mais présente de nombreux inconvénients : elle ne décèle que les caillots en voie de formation et ainsi de faux négatifs sont possibles en cas de caillot ancien ne fixant pas le fibrinogène ; elle nécessite un délai de 24 h pour l’obtention des résultats ; elle ne détecte pas les thromboses proximales, fréquentes après chirurgie de la hanche, en raison du taux élevé de radioactivité au niveau de la vessie où se concentre le traceur ; elle donne des faux positifs en cas d’hématome ou d’infection (spécificité : 75 %), ce qui réduit son intérêt après la chirurgie orthopédique ; son emploi est limité aux centres disposant de produits radioactifs et son coût est élevé.
Le fibrinogène marqué, qui reste très intéressant dans les essais thérapeutiques, est difficile à recommander en clinique courante.
Pléthysmographie occlusive [7, 45]
Elle permet de mesurer
les variations de volume sanguin obtenues au niveau d’un membre lors d’une manoeuvre d’occlusion veineuse provoquée. Au relâchement, l’importance de la vidange est fonction de la perméabilité du réseau veineux. Il s’agit d’une méthode indolore, réalisable au lit du malade.
La pléthysmographie détecte avec une grande fiabilité l’obstruction veineuse due à une thrombose. Mais un syndrome postphlébitique obstructif ou une compression extrinsèque peuvent créer des faux positifs. Enfin, des faux négatifs sont possibles en cas de thrombus occlusif contourné par une circulation collatérale, de thrombus non occlusif ou reperméabilisé et de thrombose surale lorsque certains troncs demeurent perméables. Ainsi, dans l’étude de Hull [45], 59 thromboses proximales sur 64 sont détectées (sensibilité 92 %) contre 15 thromboses surales sur 88 (sensibilité 13 %). Pour pallier cet inconvénient, certains auteurs ont préconisé une répétition des pléthysmographies à intervalles réguliers afin de dépister une extension secondaire, mais ceci va à l’encontre d’un diagnostic rapide.
Globalement, il s’agit donc d’un examen simple et atraumatique, supérieur à la clinique, mais dont les insuffisances expliquent qu’il soit aujourd’hui largement supplanté par l’écho-Doppler.
Doppler veineux continu
C’est la méthode la plus simple, la plus rapide et la moins chère pour l’évaluation de la pathologie veineuse [26]. L’appareillage comprend un enregistreur relié à une sonde de Doppler continu. L’examen est bilatéral et comparatif et s’effectue sur le malade allongé en totale résolution musculaire. Le réseau veineux profond est exploré sur tout son trajet, après repérage de l’artère adjacente, en quatre points suraux, un poplité, trois fémoraux et un iliaque. Contrairement au signal artériel, le signal veineux n’est pas synchrone du rythme cardiaque mais est influencé par la respiration (il diminue à l’inspiration et augmente à l’expiration).
La compression musculaire d’aval arrête le flux sanguin et celle d’amont l’accélère.
En cas de thrombose veineuse, le signal sonore diminue ou est aboli. Il est remplacé parfois par un son continu, non influencé par la respiration témoignant d’une circulation de suppléance.Le Doppler veineux utilisé seul, non couplé à l’échographie, présente les mêmes inconvénients que la pléthysmographie : sa sensibilité est très bonne (95 à 98 %) pour la détection des thromboses occlusives poplitées et sus-poplitées. Mais elle décroît très nettement pour les thromboses partielles, pour les thromboses surales et en présence d’une circulation collatérale. Par rapport à la méthode précédente, elle a l’avantage de localiser le thrombus, mais ses résultats sont très dépendants de l’opérateur.
Echo-Doppler veineux
Le Doppler continu [8, 23, 24, 25, 49, 55, 72, 90] n’est plus utilisé isolément mais précède l’examen échographique complet du réseau veineux.
L’imagerie en mode B temps réel, est également couplée au Doppler pulsé et souvent au Doppler couleur permettant une exploration à la fois anatomique et dynamique. L’examen est veines iliaques et fémorales, le patient est examiné en décubitus dorsal et au besoin en décubitus latéral gauche. Pour les veines poplitées et surales, la position assise est préférable car elle permet d’obtenir une bonne dilatation veineuse. Une veine perméable a une paroi fine et se laisse totalement comprimer par la sonde.
L’examen des veines iliaques et cave peut être difficile en cas de laparotomie récente, de météorisme ou de contracture de l’abdomen. Celui des veines surales est délicat en présence d’un oedème volumineux, de troubles trophiques ou dans les cas où le malade ne peut s’asseoir. En fait, le principal écueil de cette méthode est de dépendre de l’opérateur. Celui-ci, au moindre doute, doit demander un contrôle phlébographique.Le diagnostic échographique de thrombose est fait sur l’impossibilité de comprimer la veine et sur la vision directe du caillot (fig. 2), obtenue dans près de 9 cas sur 10. Son siège, son extension et sa mobilité peuvent être précisés.
Certains caractères permettent également de déterminer son âge approximatif.
Ainsi, un thrombus récent est hypodense, homogène, partiellement compressible sous la sonde, n’adhère pas à la paroi et s’accompagne d’une dilatation du calibre veineux. A l’inverse, un thrombus ancien est hyperdense, hétérogène, totalement incompressible et adhère à la paroi.
Les résultats de cette méthode comparés à ceux de la phlébographie [8, 23, 49, 55] sont excellents pour les thromboses proximales avec une spécificité de 99 % et une sensibilité de 100 %. Pour les thromboses surales, les résultats sont discordants selon les études avec une sensibilité variant de 36 à 90 %. Ces différences sont probablement en rapport avec une inégale valeur des échographistes. Mais l’écho-Doppler se révèle parfois supérieur à la phlébographie puisqu’il détecte des thromboses dans les veines musculaires du mollet, les veine fémorales profondes, les veines fémorales superficielles surnuméraires, les crosses saphènes et les anévrysmes veineux poplités. En outre, par l’examen des structures voisines, il peut montrer une compression veineuse extrinsèque par un hématome ou une tumeur.
En conclusion, l’écho-Doppler est une méthode atraumatique, répétitive et fiable, mais dépendante de l’opérateur. Il prend actuellement une place de plus en plus importante dans le diagnostic des thromboses veineuses profondes entrant en compétition avec la phlébographie.
Stratégie des explorations (tableau VI)
Les insuffisances du fibrinogène marqué pour la détection des thromboses proximales et celles de la phléthysmographie pour la détection des thromboses surales et proximales non occlusives limitent le choix des méthodes diagnostiques à l’écho-Doppler et à la phlébographie. Deux situations doivent être envisagées en cas de suspicion clinique de phlébite.
Un appareil d’échographie est disponible et l’opérateur est entraîné : l’écho-Doppler doit être réalisé en première intention. Si l’examen montre une thrombose et en évalue parfaitement l’extension, le traitement est aussitôt entrepris ; s’il est complet et normal, il n’y a pas lieu de demander une phlébographie.
Cette dernière est indispensable au moindre doute ou si le réseau veineux n’a pu être exploré entièrement par l’échographie. En l’absence d’appareil d’échographie ou d’un échographiste expérimenté, la phlébographie est indiquée.
Enfin, certaines chirurgies telles que celles de hanche ou du genou sont réputées à haut risque thrombogène et peuvent bénéficier d’une surveillance systématique en dehors de tout signe clinique suspect. Le dosage répété des D-dimères peut ici être utile, complété par l’écho-Doppler en cas d’élévation de leur taux. La phlébographie systématique n’est pas justifiée en dehors des essais