Echanges plasmatiques
Patrice Lefèvre : Praticien hospitalier, chef de service.
Bernard Lassale : Praticien hospitalier.
Service d’hémaphérèse et d’autotransfusion, hôpital de la Conception, boulevard Baille, Marseille cedex 5 France
Résumé
Un échange plasmatique (EP) est un traitement qui associe la soustraction d’un volume important de plasma, une ou deux masses plasmatiques, et la transfusion d’un produit de substitution plasmatique en quantité suffisante pour maintenir le patient en état de normovolémie. Le terme de plasmaphérèse doit être réservé aux prélèvements de plasma (400 à 600 ml) réalisés dans les centres de transfusion. Les effets thérapeutiques, quand ils existent, reposent sur un principe simple : enlever le facteur plasmatique qui est responsable des manifestations cliniques.
Une première période située entre le début des années 1970 et le milieu des années 1980 a été caractérisée par une utilisation intensive des EP pour des pathologies systémiques mal connues et/ou pour lesquelles les ressources thérapeutiques étaient très faibles.
Depuis, des études cliniques mieux conduites ont permis d’affiner les indications et de souligner l’intérêt de ce traitement en situation d’urgence. De plus, elles ont permis de commencer à préciser la place respective des EP et d’une autre approche thérapeutique immunomodulatrice : les immunoglobulines intraveineuses à forte dose. La Société française d’hémaphérèse a mis en place depuis plusieurs années un fichier national accessible par minitel. En 1993, l’activité de 62 centres d’échanges plasmatiques s’établit à 10 234 traitements pour 1 134 patients.
TECHNIQUES
Le fractionnement du sang total se fait par centrifugation ou filtration, selon un mode continu ou discontinu, dans des séparateurs de cellules.
Séparateurs
Ces appareils qui:
permettent le fractionnement du sang total en ses différents constituants (plasmatiques et cellulaires) sont disponibles depuis le début des années 1970. Depuis ils ont fait l’objet d’améliorations techniques régulières au niveau des rendements, de l’automatisation et de la sécurité des patients. Actuellement, ils permettent de réaliser de façon fiable des EP de une ou deux masses plasmatiques en 2 à 4 heures. Tous ces systèmes, quel que soit leur principe de fonctionnement, sont soumis à homologation.
Séparation par centrifugation
Elle peut se faire selon un mode continu (séparateur à flux continu) ou discontinu (séparateur à flux discontinu).
Séparateur à flux continu
La figure 1 représente le schéma de fonctionnement de ce type de séparateur qui a permis de réaliser les premiers EP en clinique.
Le volume du circuit extracorporel est faible (250 ml) et peut être rempli, à défaut du sang du malade, par un soluté physiologique ou un dérivé sanguin. Chaque fraction sanguine (plasma, leucocytes, plaquettes, hématies) peut être prélevée ou rendue au patient. Le produit de substitution est injecté au patient de façon active par des pompes péristaltiques à débit réglable. L’appareillage est lourd, il ne peut pas être déplacé facilement au lit du malade. Il nécessite impérativement deux accès veineux de bonne qualité. Enfin, la mise en oeuvre est assez longue (30 min) car la purge du circuit doit être minutieuse. Parmi les avantages de ce système il faut signaler la bonne tolérance hémodynamique et un volume de plasma échangé par unité de temps important. Le fonctionnement est en règle générale entièrement automatisé, la surveillance est assurée par une unité centrale informatisée qui analyse en permanence les informations issues de différents types de capteurs : pression absolue et gradient, détecteurs d’air, pesons et systèmes optiques.
Séparateur à flux discontinu
Le schéma du circuit extracorporel est représenté sur la figure 2. Le fractionnement du sang total est réalisé dans un bol de centrifugation par des cycles répétitifs. Chaque cycle comporte trois phases : remplissage/séparation, prélèvement du plasma par regorgement du bol et réinjection des éléments figurés au malade. Le temps de prélèvement du plasma ne représente qu’un tiers du cycle, ce qui explique une durée de manipulation plus longue : 3 h en moyenne par masse plasmatique contre 1 h 30 avec un flux continu. Le volume du circuit extracorporel, qui doit être rempli par le sang du malade, dépend de la contenance du bol utilisé (pédiatrique : 155 ml, adulte : 250 ml) et du taux d’hématocrite du sang total traité. Il peut varier entre 300 ml et 800 ml et surtout il fluctue au cours des différentes phases du cycle, ce qui peut poser des problèmes de tolérance hémodynamique. En contrepartie, ces appareils sont d’une utilisation simple, la mise en oeuvre est très rapide (5 à 10 min) et le séparateur peut être déplacé très facilement au lit du malade. Enfin, lorsque le réseau veineux du malade est limité, l’échange plasmatique peut être réalisé sur une seule voie.
Séparation par filtration
Le circuit extracorporel (fig. 3) ressemble à celui d’une ligne de dialyse. Il peut être monté sur la majorité des dialyseurs modernes.
Les filtres disponibles sont les cartouches de fibres creuses comportant des pores de 0,01 μm à 0,075 μm [59]. Si en centrifugation l’épuration de substances plasmatiques est une fonction exponentielle du volume échangé, en filtration elle dépend de plusieurs paramètres. Certains sont liés au filtre : nature de la membrane (acétate de cellulose, polypropylène, polycarbonate), structure (faisceaux de fibres creuses) et surface de filtration. D’autres dépendent des conditions d’utilisation : taux d’hématocrite du malade, débit de perfusion, niveau et stabilité de la pression transmembranaire qui doit être maintenue au-dessous de 70 mm Hg [55], durée de la manipulation [6, 14, 55]. La majorité des filtres disponibles sont chers. Une séparation correcte nécessite des débits importants (100 à 150 ml/min) [72], ce qui impose d’avoir recours, le plus souvent, à des voies veineuses centrales. Parmi les avantages de ces systèmes il faut signaler le fonctionnement en flux continu, un volume extracorporel réduit (200 ml) et une bonne mobilité. En outre, cette technique d’EP représente dans la majorité des cas le premier temps des épurations plasmatiques dites ” sélectives “.
Epuration plasmatique sélective
L’épuration sélective (fig. 4) représente une approche plus moderne des EP [31, 32, 35, 43, 49, 56, 59]. Elle permet d’éliminer la molécule (protéine, lipide) en excès tout en restituant au patient les autres constituants plasmatiques. Deux conditions doivent être remplies pour pouvoir appliquer ce type de technique : le facteur pathogène doit être parfaitement identifié et il doit pouvoir être éliminé par un moyen physique, chimique ou immunologique.
Après la séparation plasmatique, le plus souvent par filtration, commence l’étape de traitement du plasma. Parmi les nombreux procédés décrits [59], la double filtration ou cascade, l’immunoadsorption ainsi que l’affinité chimique sont utilisées en routine. La technique d’extraction par double filtration ou cascade est un procédé physique. Le plasma séparé des cellules sanguines dans un filtre primaire traverse un deuxième filtre dont le diamètre des pores membranaires sera choisi en fonction de la taille de la molécule à éliminer.
L’immunoadsorption faite sur des colonnes contenant la protéine A du staphylocoque est dite sélective.
Ce polypeptide possède une très grande affinité pour les immunoglobulines G et pour les complexes immuns. L’immunoadsorption peut être spécifique par l’utilisation de colonnes chargées en antigène (anti-Rhésus, anti-A) ou en anticorps si la molécule a une activité antigénique.
L’affinité chimique du LDL (” low density lipoprotein “)-cholestérol pour le dextran-sulfate est exploitée pour traiter les hypercholestérolémies familiales.
Voies d’abord vasculaires
Un bon accès vasculaire conditionne la durée du traitement en centrifugation et sa qualité en filtration. La ponction des vaisseaux est réalisée dans des conditions rigoureuses d’asepsie à l’aide de cathéters courts ou d’aiguilles à ailettes de gauge 14 ou 16 au minimum. Les veines antébrachiales superficielles sont ponctionnées de façon préférentielle. La mauvaise qualité du réseau veineux superficiel peut conduire à utiliser les voies centrales. La ponction d’une veine fémorale est réservée à l’urgence : elle permet des débits de prélèvement et de réinjection importants mais elle ne doit pas être laissée en place car les complications infectieuses et thromboemboliques sont fréquentes. Les veines jugulaires et axillaires peuvent également être utilisées, le cathéter peut être conservé plusieurs jours à condition de l’entretenir de façon parfaite.
Les dérivations artérioveineuses type shunt ou fistule peuvent être indispensables lorsque le réseau veineux superficiel est insuffisant. Elles doivent être proposées cas par cas et pour des situations particulières : patients porteurs de maladies métaboliques congénitales ou nécessitant des traitements fréquents et/ou sur une période prolongée. Le shunt permet une utilisation immédiate mais nécessite des soins minutieux pour éviter infections et thromboses. La fistule ne peut être utilisée qu’après 3 semaines à 1 mois de délai et pose le problème de la mise en route d’un traitement anticoagulant momentané.
Anticoagulation du circuit extracorporel
Elle doit être efficace et sans risque pour le malade.
Les solutions de citrate ACD (acide citrique, citrate, dextrose) formule A ou B sont les plus utilisées. Le rapport ACD/sang total doit être au moins égal à 1/10 pour obtenir une anticoagulation efficace.
Les sels de citrate empêchent les phénomènes de coagulation en chélatant le calcium ionisé et en inhibant l’agrégation plaquettaire. Lors d’un EP, les deux tiers de l’ACD sont éliminés avec le plasma prélevé. Le tiers restant réinjecté au malade avec les éléments figurés n’entraîne jamais de troubles de l’hémostase. Une baisse du calcium ionisé circulant et la surcharge en citrate sont les deux complications possibles avec ce type d’anticoagulation.
L’héparine est moins souvent utilisée. Elle perturbe la coagulation du patient, ce qui implique une surveillance régulière du bilan d’hémostase. Un accident de surdosage sera traité par la protamine dont on connaît le pouvoir immunogène et l’effet transitoire sur l’héparinémie.
L’association des deux anticoagulants, citrate et héparine, est parfois utile mais elle expose le malade aux effets secondaires de l’un et de l’autre.
Produits de substitution plasmatique
Les échanges plasmatiques sont toujours réalisés dans des conditions de normovolémie. Il n’existe pas de substitut idéal capable d’assurer à la fois un bon remplissage pendant une durée suffisante, de maintenir une protidémie correcte, d’être atoxique, non immunogène, facilement disponible et peu onéreux.
Ces substituts peuvent être divisés en deux groupes : les produits artificiels et les produits naturels dérivés du sang.
Produits artificiels
Ce sont les cristalloïdes, les colloïdes et les hydroxyéthylamidons (HEA). Ils ont en commun un prix de revient peu élevé et ils sont facilement disponibles.
Cristalloïdes
Parmi ceux-ci, c’est le Ringer lactate qui a la préférence. Sa tolérance est parfaite mais sa demi-vie très brève dans le secteur vasculaire (20 min) ne permet pas de couvrir la durée de la manipulation. Il est utilisé en quantité limitée en début d’échange (500 ml) et pour ramener la concentration des solutions d’albumine de 20 % à 4 ou 5 %.
Colloïdes
Les gélatines fluides et les dextrans appartiennent à ce groupe. Leur pouvoir oncotique est égal ou supérieur à celui du plasma et leur demi-vie (4 à 8 h) est compatible avec la durée habituelle des échanges. En pratique, la quantité de colloïde utilisée au cours d’un EP ne doit pas dépasser 20 à 25 % du volume épuré [11].
Les gélatines fluides sont peu utilisées en raison du risque élevé de choc anaphylactique.
Les dextrans de nouvelle génération ont été utilisés avant la mise à disposition des dérivés d’amidon.
Hydroxyéthylamidons
Ce sont des polysaccharides naturels ayant un effet d’expansion volémique identique à celui de l’albumine. Leur tolérance est bonne. Leur persistance intravasculaire permet de couvrir très largement la durée de la manipulation [26]. Les HEA sont utilisés en début d’échange (1/3 du volume à épurer) avant l’introduction de la solution d’albumine.
Dérivés du sang
Les deux produits disponibles en France sont le plasma viro-atténué (PVA) et l’albumine humaine plasmatique.
Plasma viro-atténué
Le PVA est le produit de compensation le plus physiologique. Il est préparé à partir d’un pool de plasma issu de prélèvements par plasmaphérèse. L’atténuation virale réalisée est de type chimique : méthode solvant-détergent (SD). Ce procédé n’est actif que sur les virus enveloppés (VIH, virus de l’hépatite B, virus de l’hépatite C), mais sans action sur les virus non enveloppés comme le virus de l’hépatite A ou le parvovirus B19. Le pool de plasma traité est réparti dans des poches de 200 ml dont 20 ml d’anticoagulant environ (ACD A ou CPD [citrate, phosphate, dextrose]). Son utilisation impose le respect strict de deux règles : il doit être transfusé dans les 2 heures qui suivent sa décongélation lente, la compatibilité dans les systèmes de groupe ABO et Rhésus est impérative pour éviter les accidents d’hémolyse et d’allo-immunisation anti-D. Le plasma frais congelé a été le produit de remplissage de référence jusqu’à la fin des années 1970. Aujourd’hui, le purpura thrombotique thrombocytopénique reste la seule indication admise du PVA.D’autres méthodes d’inactivation sont en cours d’expertise (SD poche par poche, pasteurisation, photo-inactivation), ces produits n’ont pas encore reçu l’agrément de l’Agence française du sang.
Albumine humaine
Son origine est exclusivement plasmatique. Elle est utilisée en solution à 4 ou 5 % dans du Ringer lactate. Cette dilution lui confère un pouvoir oncotique identique à celui du plasma et permet un remplacement volume pour volume. Les facteurs de la coagulation et les immunoglobulines ne sont pas compensés. Les facteurs de la coagulation se reconstituent en moins de 4 h pour les facteurs VIII et IX et en moins de 24 h pour les autres. La diminution des immunoglobulines ne pose pas de problème sauf en cas d’EP journalier sur une longue durée. L’albumine ne transmet pas de maladies infectieuses, satolérance peut varier en fonction des lots utilisés [17], c’est un produit qui reste assez cher (18 F/g en 1994).