Hypercalcémies sévères

C. Guidon
L’hypercalcémie sévère est une situation peu fréquente mais mettant potentiellement en jeu le pronostic vital. Elle est définie par une calcémie totale supérieure à 3,5 mmol l–1 ou bien à 3 mmol l–1 mais accompagnée de signes cliniques. Les rôles du calcium sont divers et expliquent le retentissement de l’hypercalcémie sur le fonctionnement de différents organes. Outre un rôle de structure, le calcium joue un rôle dans la genèse et la transmission des signaux électriques des cellules excitables, ainsi que dans les transferts intracellulaire et extracellulaire d’informations. Le maintien de la calcémie dans les zones physiologiques est assuré par trois hormones, la parathormone (PTH), la vitamine D et la calcitonine.
L’hypercalcémie aiguë entraîne des conséquences cardiaques, neurologiques et rénales potentiellement fatales. Les étiologies les plus fréquentes sont l’hyperparathyroïdie primitive ou secondaire et les néoplasies. Le diagnostic de l’étiologie est fait en général sur le contexte clinique puis le dosage de la PTH et de son analogue structurel pathologique, le PTHrP, produit par les cellules tumorales.
Le traitement de l’hypercalcémie aiguë sera entrepris en milieu de réanimation et comporte des mesures générales que sont la réhydratation et l’entraînement de la diurèse par les diurétiques ainsi que les traitements spécifiques, inhibant la résorption osseuse, les biphosphonates associés initialement ou non à la calcitonine.
Mots clés : Hypercalcémie ; Hypercalcémie néoplasique ; Crise hyperparathyrotoxique ; Hyperparathyroïdie ; Biphosphonates ; Calcitonine
Introduction
Le calcium ionisé est un élément essentiel à de nombreux processus biologiques. Les découvertes de ces dix dernières années ont permis de préciser les rôles de cet ion, non seulement structurel, de genèse du signal électrique des cellules excitables ou dans la contraction des cellules musculaires cardiaques ou squelettiques, mais également comme messager ; ce dernier rôle, que ce soit comme second messager à l’intérieur de la cellule ou comme messager extracellulaire, le rend nécessaire à diverses fonctions cellulaires ou enzymatiques. On conçoit dès lors les conséquences des troubles de sa répartition ou de l’équilibre des entrées et des sorties. En particulier, ces rôles divers, nombreux et précis, exigent le maintien de la calcémie dans une fourchette de valeurs étroites qui se situe pour le calcium total entre 2,2 et 2,6 mmol l–1 et pour le calcium ionisé entre 1,1 et 1,3 mmol l–1. L’hypercalcémie sévère est définie par une augmentation de la calcémie totale au-delà de 3,5 mmol l–1, par une calcémie ionisée supérieure à 1,6 mmol l–1 ou encore par une calcémie totale supérieure à 3 mmol l–1 mais accompagnée de signes cliniques. La survenue de ces signes cliniques, avec en particulier le risque de mort subite par troubles du rythme cardiaque, est conditionnée par la rapidité d’installation de l’hypercalcémie. L’hypercalcémie chronique est le plus souvent asymptomatique.
Répartition du calcium
Le calcium est l’élément le plus répandu sur terre dont il constitue 3 % de la croûte terrestre, et il est contenu dans l’eau de mer à une concentration de 10 mmol l–1. Dans l’organisme humain, le calcium est essentiellement présent sous forme non soluble et extracellulaire au niveau de l’os qui contient 99 % du calcium total, soit 1,2 kg, et qui représente un vaste réservoir participant éventuellement au maintien de l’équilibre de la calcémie. Une faible partie de ce calcium osseux, soit 1 % (4 g) est rapidement échangeable et peut également participer directement au maintien de la calcémie. Le calcium extracellulaire soluble se présente sous trois formes : 47 % sont sous forme ionisée, 10 % sous forme complexée à des anions tels les phosphates, les citrates, les sulfates, les bicarbonates ou les lactates : ces deux formes sont diffusibles et filtrées par le rein. En revanche, la troisième forme, soit 40 %, est non diffusible, fixée aux protéines, 80 % à l’albumine (0,2 mmol par gramme d’albumine) et 20 % aux globulines. Enfin, le calcium intracellulaire est également présent sous deux formes : une forme soluble (5 %) qui est la forme ionisée et qui est en concentration environ 10 000 fois plus faible que dans le milieu extracellulaire, de l’ordre de 0,1 μmol l–1, voire 1 μmol–1. Quatre-vingt-quinze pour cent du calcium intracellulaire sont insolubles, liés à des macromolécules tels lesacides nucléiques ou la calmoduline, ou contenus dans les organites intracellulaires, mitochondries, réticulum endoplasmique, cytosol. Ce calcium intracellulaire lié ou « séquestré » joue un rôle-clé dans la transmission cellulaire de messages physiologiques concernant l’action des hormones, la neurotransmission ou la croissance et la prolifération cellulaires. Il existe des interactions entre les différents compartiments : ce sont des systèmes de transports actifs qui assurent le maintien des gradients de concentration entre les organites, le cytosol et le milieu extracellulaire tout en permettant les échanges rapides. Il existe également des systèmes « tampons » intracellulaires dont la calmoduline intracellulaire, susceptible de fixer plusieurs ions Ca++.
Bilan du calcium
Source du calcium
La source de calcium est l’alimentation. Les besoins en calcium sont variables au cours de la vie, de 400 à 600 mg j–1 chez le nourrisson, 800-1 200 mg j–1 chez l’enfant, 1 500 mg j–1 chez l’adolescent. En moyenne, l’alimentation amène 1 g/j de calcium qui est absorbé au niveau du duodénum. Cinquante à 60 % du calcium ingéré sont absorbés, le reste est excrété dans les fèces. Le transport de Ca++ à travers la paroi du tube digestif se fait selon deux modes :
• un flux paracellulaire passant entre deux cellules intestinales, qui est passif par diffusion ou en suivant le mouvement de l’eau et des principaux solutés osmotiquement actifs (Na+ , glucose) ;
• un flux transcellulaire, actif, faisant intervenir une pompe échangeuse d’ions Na+/Ca++, voire des canaux calciques voltage-dépendants.
Cependant, cette absorption est modulée selon les besoins de l’organisme par la vitamine D et en particulier son métabolite actif, le calcitriol, ou 1,25-OH2D3. Des apports supérieurs à 4 g j–1 sont susceptibles de dépasser les mécanismes de protection et d’entraîner une hypercalcémie.
Excrétion du calcium
L’élimination du calcium se fait essentiellement par le tube digestif puisque près de la moitié du calcium ingéré, ainsi que le calcium excrété dans les sucs digestifs, sont éliminés dans les fèces.
Il existe également une élimination rénale soumise à une régulation hormonale qui permet à l’organisme de contrôler étroitement la calcémie. Quotidiennement, 10 000 mg de calcium sont filtrés dont 98 % sont réabsorbés en grande partie au niveau du tube contourné proximal (65 %), mais également de la branche ascendante de l’anse de Henle (25 %) et du tube contourné distal (8 %). Un certain nombre de facteurs module cette excrétion du calcium : celle-ci est en effet augmentée en cas d’accroissement des apports calciques, des apports hydriques et sodés ainsi que sous l’effet des diurétiques de l’anse. À l’inverse, la parathormone (PTH) stimule la réabsorption tubulaire du calcium ainsi que l’excrétion du phosphore et parallèlement augmente la synthèse de la forme active de vitamine D, le 1,25-OH2D3. Cette dernière va stimuler l’absorption intestinale de calcium et de phosphate ainsi que la mobilisation de ces deux ions à partir de l’os, tout en exerçant un feedback négatif sur la synthèse et la sécrétion de PTH ainsi que sur la prolifération des cellules parathyroïdiennes.
Rôles du calcium
Le calcium intervient dans de nombreux systèmes biologiques et certaines de ses propriétés ont été utilisées en thérapeutique neurologique ou cardiovasculaire. [14]
Rôle de structure
Sous forme de phosphate ou hydroxyapatite, le calcium est un constituant majeur des os et des dents. Dans les tissus mous,le calcium lié à des phospholipides, des protéines, des acides nucléiques, participe à la structure cellulaire en contribuant à la fluidité du plasma, à l’intégrité des membranes cellulaires ainsi qu’aux liaisons entre cellules et à la stabilité de la chromatine.
Rôle de transmission
Le calcium joue un rôle important dans la génération, la modulation et la transmission des signaux électriques des cellules excitables. La production de signaux électriques par les cellulesexcitables est le résultat de l’activité de canaux sodiques, potassiques et calciques. Ces canaux sont constitués d’une unité principale qui est codée pour tous les canaux ioniques par la même famille de gènes et de sous-unités qui confèrent à ces canaux leurs propriétés particulières. La sous-unité a-1 définit plusieurs types de canaux calciques dont le type L qui est celui bloqué par les agents anticalciques largement utilisés en pharmacologie car présent dans le coeur, les vaisseaux et les muscles lisses. L’action de ces canaux entraîne l’entrée de calcium dans la cellule ainsi que sa libération par le réticulum sarcoplasmique par action sur les récepteurs de la ryanodine. Ce calcium se fixe sur l’appareil myofibrillaire, ce qui conduit à la contraction musculaire. Le blocage des canaux calciques de type L entraîne donc la relaxation des fibres musculaires lisses ainsi que l’effet cardiaque inotrope négatif utilisé dans le traitement de l’hypertension artérielle et de l’angor. De plus, les canaux de type L semblent jouer un rôle dans la croissance et la prolifération cellulaire. Les canaux calciques de type L, mais également de type N, P et Q, sont présents au niveau des neuronesoù leur rôle consiste à transformer un signal chimique en signalélectrique au niveau des jonctions synaptiques.
Rôle de transport
Enfin, le calcium exerce un rôle majeur de transport d’information aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur de la cellule :
• à l’intérieur de la cellule, la concentration en calcium est relativement élevée, de 1 à 1,3 mmol l–1 (calcium ionisé) ; cette concentration est également élevée dans les citernes du réticulum endoplasmique et les autres organites où l’ion Ca++ est lié à diverses protéines dont la calmoduline qui lie quatre ions Ca++ par molécule. Dans le cytoplasme, la concentration de calcium est à l’inverse basse, jusqu’à 0,15 μmol l–1, mais elle peut s’élever rapidement (10 μmol l–1) ce qui constitue le « signal calcium » en réponse à l’interaction d’hormones ou de neurotransmetteurs avec leur récepteur sur la membrane plasmique. La transduction du signal des hormones se fait par des récepteurs dont le second messager est soit l’inositol 1,4,5 triphosphate (récepteurs IP3), soit l’adénosine diphosphate (ADP) ribose cyclique (récepteurs ryanodine dans les cellules musculaires et pancréatiques). Ce second messager est à son tour lié par un canal calcique du réticulum endoplasmique ou de la membrane plasmique ce qui permet la libération de Ca++ du réticulum ou son entrée dans la cellule.
L’extinction du « signal calcium » est très rapide du fait de l’activité permanente des pompes à Ca++ qui, grâce à l’énergie de l’adénosine triphosphate (ATP), enferment à nouveau le Ca++ dans le réticulum ou l’échangent avec des ions Na+ afin de permettre sa sortie de la cellule ;
• à l’extérieur de la cellule, le Ca++ agit par l’intermédiaire du récepteur calcium extracellulaire (Ca R) qui a été isolé et cloné récemment. [4] Ce récepteur appartient à la famille des nombreux récepteurs couplés aux protéines G qui sont regroupés en trois grandes catégories : le groupe I auquel appartiennent les récepteurs au glutamate, très répandus dans le système nerveux central, le groupe II auquel appartiennent le Ca R et les récepteurs aux phéromones, et le groupe III comprenant les récepteurs à l’acide gamma-aminobutyrique (GABA).
Le Ca R est retrouvé sur les cellules de nombreux organes impliqués dans la régulation de la calcémie : les cellules parathyroïdiennes sécrétrices de la PTH, les cellules C de la thyroïde productrices de calcitonine, les cellules tubulaires rénales interférant avec l’activité de la pompe Na+ – K+ -ATPase, les cellules osseuses immatures mais également ostéoblastes, ostéoclastes et chondrocytes, les cellules digestives participant à l’absorption du calcium. Ce récepteur a de plus été localisé au niveau de cellules ne participant pas à l’homéostasie du calcium, comme les cellules du système nerveux central, de la moelle osseuse, les éléments figurés du sang, les cellules mammaires ou les kératinocytes, ce qui suggère un rôle du calcium dans de nombreuses fonctions comme les sécrétions hormonales, l’expression génique, l’apoptose ou la prolifération cellulaire.