Insuffisance rénale aiguë

L’insuffisance rénale aiguë est un syndrome qui a de nombreuses causes. Elle est définie par une altération rapide de la filtration glomérulaire d’intensité plus ou moins marquée, responsable de désordres hydroélectrolytiques, volémiques et acidobasiques. La mortalité des malades de réanimation ayant une insuffisance rénale aiguë reste élevée malgré les progrès réalisés, en particulier dans les techniques d’épuration extrarénale. La cause la plus fréquente d’insuffisance rénale aiguë en réanimation est la nécrose tubulaire aiguë.
Celle-ci est liée le plus souvent à une hypoxie médullaire d’origine hémodynamique.
Cependant, 20 % environ des nécroses tubulaires sont d’origine toxique, en particulier médicamenteuse.
Il n’y a pas de médicament permettant de prévenir ou de traiter spécifiquement une insuffisance rénale aiguë.
Cependant, l’optimisation de l’équilibre hémodynamique est primordiale pour prévenir le passage d’une insuffisance rénale fonctionnelle vers une nécrose tubulaire aiguë, ou pour éviter les agressions hémodynamiques locales susceptibles de retarder la guérison d’une insuffisance rénale aiguë.
Bien que l’hémofiltration continue soit de plus en plus utilisée comme technique d’épuration extrarénale, il n’y a pas de preuve de la supériorité de cette technique par rapport à l’hémodialyse intermittente conventionnelle.
Mots-clés : insuffisance rénale aiguë, réanimation, hémodialyse, hémofiltration continue, nécrose tubulaire aiguë, insuffisance rénale fonctionnelle.
Introduction
L’insuffisance rénale aiguë (IRA) est définie par une réduction de la filtration glomérulaire survenant en quelques heures à quelques jours. Elle a pour conséquence la rétention des déchets du métabolisme et les perturbations de l’équilibre hydroélectrolytique et acidobasique. Elle peut être à diurèse conservée, ou oligoanurique quand la diurèse est inférieure à 500 mL par 24 heures. En réanimation, sa cause la plus fréquente est la nécrose tubulaire aiguë.
Malgré les progrès thérapeutiques de ces dernières années, la mortalité de l’IRA reste élevée, particulièrement quand elle est acquise en cours d’hospitalisation ou qu’il s’agit de malades de réanimation.
Anatomie. Physiologie
RAPPELS ANATOMIQUES [19, 78]
Les reins sont situés en arrière du péritoine et mesurent environ 12 cm de grand axe. Le parenchyme rénal est formé de deux parties : le cortex et la médullaire. Le cortex, partie externe ou superficielle du rein, mesure 10 mm d’épaisseur et contient les glomérules, les tubes contournés proximaux et distaux.
La médullaire, partiprofonde du rein contenant les anses de Henle, est divisée en deux parties : médullaire externe et médullaire interne formée par les pyramides de Malpighi, dont le sommet constitue la papille faisant saillie dans les calices. Ces pyramides délimitent les colonnes de Bertin, invaginations du cortex.
Les néphrons sont les unités fonctionnelles du rein. Ils sont au nombre de 1 000 000 environ pour chaque rein. Dans chaque néphron, on distingue : un glomérule, un appareil juxtaglomérulaire, un tube proximal, une anse de Henle et un tube distal. Selon la isposition des anses de Henle, on distingue deux populations de néphrons, superficiels et juxtaglomérulaires ou profonds, proches de la médullaire.
L’appareil juxtaglomérulaire, situé au niveau du hile glomérulaire, est formé par trois éléments : une composante vasculaire appartenant aux artérioles afférente et efférente, une partie du tube contourné distal (macula densa) et les cellules du lacis situées entre les deux artérioles.
Le tube collecteur draine plusieurs tubes contournés distaux, et se termine par un tube de Bellini qui sert de connexion avec la lumière calicielle.
La vascularisation est de type terminal sans suppléance entre les divers segments du rein. L’artère rénale principale se divise en plusieurs artères segmentaires, puis en artères interlobaires d’où naissent les artères arquées à la jonction corticomédullaire formant une arcade artérielle. De ces arcades partent les artères interlobulaires. Ces dernières donnent naissance aux artérioles afférentes. Le réseau capillaire entre artérioles afférente et efférente est tapissé de cellules épithéliales et constitue les lobules capillaires.
Ces derniers sont entourés par la capsule de Bowman, à l’intérieur de laquelle se trouve la chambre urinaire. L’artériole efférente donne naissance aux capillaires tubulaires artérioveineux.
RAPPELS PHYSIOLOGIQUES [13]
En plus de son rôle d’épuration des déchets, le rein intervient dans l’équilibre du milieu intérieur (homéostasie) en régulant les volumes liquidiens, la composition électrolytique du milieu extracellulaire et l’équilibre acidobasique. Il possède également une fonction endocrine puisqu’il est le siège de la formation de la rénine, de la forme active de la vitamine D et de l’érythropoïétine.
Le débit sanguin rénal au repos est de 1 200 mL/min, soit 20 % du débit cardiaque. La distribution de la circulation rénale est très inégale (90 % vers la corticale et 10 % vers la médullaire). La membrane basale glomérulaire (MBG) présente des orifices ne dépassant pas 7 nm de diamètre qui ne laissent normalement pas passer les protides, et en particulier l’albumine dont le poids moléculaire est de 69 000 Da. La filtration glomérulaire est en moyenne de 120 mL/min chez l’homme. Le débit de filtration glomérulaire (DFG) est dépendant de la perméabilité de la MBG et de la pression de filtration glomérulaire (PFG). Cette dernière est déterminée par la présence de forces qui s’opposent entre capillaire glomérulaire et capsule de Bowman. Les forces favorisant la filtration sont la pression hydrostatique du capillaire glomérulaire (PcG) et la pression oncotique de la capsule de Bowman (PoB). Les forces inverses sont la pression hydrostatique de la capsule de Bowman (PcB) et la pression oncotique du capillaire glomérulaire (PoG). Il en résulte la formule suivante : PFG = (PcG + PoB) – (PcB + PoG)
Le tube proximal réabsorbe environ les deux tiers de l’eau et du sodium filtrés, ainsi que la majeure partie des bicarbonates, du glucose, des acides aminés et des phosphates. L’anse de Henle reçoit le tiers du filtrat glomérulaire. La branche descendante réabsorbe passivement l’eau mais n’est pas perméable au NaCl, ce qui rend l’urine hypertonique à son arrivée dans la branche fine ascendante.
Contrairement à la branche descendante, celle-ci est imperméable à l’eau mais diffuse passivement le NaCl vers le milieu extérieur. La branche large ascendante, imperméable à l’eau, réabsorbe de façon active le sodium, le chlore et le potassium par les pompes Na-K-2Cl (sensibles au furosémide) rendant l’urine hypotonique. Le tube distal réabsorbe de façon active le Na+, en partie associé à la sécrétion de K+ et d’ions H+. La réabsorption du potassium est active à l’entrée du tube. Ce segment est sensible à l’aldostérone, aux thiazidiques mais pas à l’antidiuretic hormone (ADH). Le canal collecteur draine une urine hypotonique et représente le siège de la concentration de l’urine. La réabsorption d’eau est favorisée par l’ADH et l’aldostérone qui permet la réabsorption simultanée du sodium. Il joue un rôle important dans la régulation de l’excrétion du potassium et de l’acidification des urines par sécrétion d’ions H +. L’urée est réabsorbée par ce canal dans sa portion médullaire.
L’appareil juxtaglomérulaire est responsable de la sécrétion de rénine.
Celle-ci est favorisée par la baisse du NaCl dans la macula densa, l’augmentation de la kaliémie, la baisse de la pression artérielle dans l’artériole afférente, la stimulation du système adrénergique ou la baisse du taux d’angiotensine II.
La rénine agit sur l’angiotensinogène hépatique pour former l’angiotensine I transformée par l’enzyme de conversion en angiotensine II, avant d’agir sur la corticosurrénale.
En général, la réabsorption de l’eau se fait par osmose (eau liée ou libre). Dans les tubes contournés proximaux et distaux, elle est liée aux éléments filtrés. Ceci explique la possibilité d’une diurèse osmolaire par apport d’éléments non réabsorbés comme le mannitol et l’inuline, ainsi que le glucose quand les capacités de réabsorptiondu tubule sont dépassées (diabète sucré). Le gradient corticopapillaire d’osmolarité est un élément important dans les phénomènes de concentration et de dilution des urines. Ce gradient est dû au fait que, dans la médullaire, il existe un phénomène de contre-courant entre les anses de Henle, les tubes collecteurs et les vaisseaux droits, où le sang ascendant traverse un interstitium de plus en plus hypotonique, favorisant les échanges d’eau.
Épidémiologie de l’IRA
L’incidence de l’insuffisance rénale est difficile à préciser. Elle dépend des chiffres de créatininémie choisis comme seuil et de la population considérée : patients hospitalisés dans les services de néphrologie et/ou de réanimation. En France, l’incidence est estimée à 100 patients par million d’habitants (ppm) pour une population de néphrologie [18]. En Grande-Bretagne, elle est estimée à 137 ppm si on considère des chiffres de créatininémie supérieurs à 500 μmol/L, mais de 949 ppm si on considère des chiffres de créatininémie supérieurs à 90 μmol/L [26]. En Espagne, elle est de 209 ppm pour une valeur-seuil de 177 μmol/L [51]. On estime qu’environ 1 % des patients hospitalisés développe une insuffisance rénale. Ce pourcentage est de 20 % quand il s’agit de patients de réanimation, et de 4 à 15% en postopératoire de chirurgie cardiaque [77]. Trente pour cent des patients ayant une IRA nécessitent le recours à vl’épuration extrarénale.
Facteurs pronostiques de l’IRA
La mortalité de l’IRA varie entre 45 et 70 %. Il faut opposer l’IRA qui survient sans autre défaillance associée, à celle qui s’inscrit dans un contexte de défaillance multiviscérale. La première concerne des patients le plus souvent hospitalisés dans des services de néphrologie ; la mortalité est relativement modérée.
La seconde concerne des patients de réanimation ; la mortalité dépasse le plus souvent 70 %. Cette mortalité est d’autant plus élevée que l’IRA survient pendant l’hospitalisation ou que l’épuration extrarénale est nécessaire.La mortalité est également fonction du type de l’atteinte rénale [77]. Les insuffisances rénales par néphrite interstitielle aiguë ou les insuffisances rénales fonctionnelles ont le meilleur pronostic, alors que les nécroses corticales ont une mortalité particulièrement élevée.
Les patients qui reprennent leur diurèse précocement, que ce soit avec ou sans l’aide de diurétiques, ont un pronostic meilleur [73]. Lesfacteurs pronostiques mis en évidence par des études prospectives avec analyse multivariée [15, 52, 63, 69] sont, pour la plupart, en rapport avec la défaillance multiviscérale associée (ventilation artificielle,coma, indice de gravité simplifié, hypotension artérielle) ou avec la pathologie associée (cancer, cirrhose, insuffisance cardiaque).
FACTEURS DÉCLENCHANT L’IRA
Il existe plus de 50 mécanismes physiopathologiques identifiés pouvant conduire à une IRA. Les IRA sont habituellement séparées en IRA prérénales liées à une baisse de la perfusion rénale, et postrénales dues à un obstacle sur les voies excrétrices ou parenchymateuses quand il existe une lésion tubulaire, interstitielle, glomérulaire ou vasculaire.