Prévention des thromboses veineuses postopératoires des membres inférieurs

Techniques de prévention
Anesthésie péridurale et rachianesthésie
En faveur de l’efficacité de l’anesthésie médullaire, il faut retenir les études prouvant son action sur deux éléments de la triade de Virchow : la diminution de la stase vasculaire par une amélioration des conditions hémodynamiques locales [67] et l’action sur certains facteurs de l’hémostase, tels que l’agrégabilité plaquettaire, le facteur VIII et la fibrinolyse [11, 66] ; mais les études cliniques comparatives fournissent des résultats contradictoires [37]. Ainsi, l’efficacité de l’anesthésie péridurale paraît admise pour la chirurgie de la hanche et non pour les autres chirurgies. Il n’est donc pas possible de retenir cette technique anesthésique comme un moyen de prévention primaire des TVP. D’autre part, il est recommandé [18], en attendant d’autres travaux, de s’abstenir d’utiliser ces techniques pour les malades recevant des antiagrégants plaquettaires ou des anticoagulants. Cependant, l’héparine non fractionnée ou les héparines de bas poids moléculaire peuvent être administrées quelques heures après la ponction, aux trois conditions suivantes : absence d’anomalie de l’hémostase, ponction non traumatique, mobilisation ou retrait du cathéter après vérification de l’isocoagulabilité biologique. En revanche, l’injection préopératoire d’héparine n’est pas admise.En effet, aucune étude ne permet d’écarter le risque d’hématome périmédullaire ni de prouver l’intérêt de cette injection [5]. Hémodilution normovolémiqueMalgré l’amélioration qu’elle apporte sur la microcirculation, la preuve qu’elle est susceptible de prévenir les TVP n’est pas encore établie. Les travaux actuellement publiés sont incomplets : tous les substituts colloïdaux n’ont pas été utilisés, la durée optimale de l’hémodilution n’a pas été définie et les chirurgies urologique et gynécologique n’ont pas été étudiées.
Méthodes physiques
La contention élastique est efficace, à condition de veiller à la bonne adaptation des bas. Utilisée seule, elle pourrait constituer une méthode acceptable pour les faibles risques. Pour les risques notables, elle devrait être associée en principe à la prévention médicamenteuse.
La compression mécanique intermittente est moins utilisée en France qu’aux Etats-Unis [14]. Plusieurs compartiments appliqués au mollet et à la cuisse exercent, l’un après l’autre, une compression à basse pression.
Mise en place en période pré- et postopératoire, elle est considérée comme efficace, mais elle a pour inconvénients son coût, la charge de travail pour le personnel soignant, son encombrement et son inconfort pour le malade [42].
L’efficacité de la stimulation électrique intermittente n’a pas été encore prouvée, mais les résultats disponibles à ce jour paraissent favorables [18, 19].
Médicaments
Dextrans
Lorsque leur action est comparée à celle de l’héparine non fractionnée (HNF),les résultats montrent que l’efficacité est équivalente pour la prévention de l’embolie pulmonaire mortelle, quel que soit le type de chirurgie. Au contraire, l’HNF est plus efficace pour la prévention de la TVP, sauf au cours de la mise en place de prothèse totale de hanche pour laquelle les résultats sont égaux. La notion fondamentale opposant le ” critère définitif ” d’efficacité au ” critère de substitution ” a été soulignée plus haut. Ainsi, les dextrans, à la différence de l’héparine, pourraient être plus efficaces pour éviter l’embolie des thromboses constituées (en favorisant, par exemple, une lyse plus rapide de caillots fragiles) que pour prévenir l’apparition des TVP [14].
Ils ont, par ailleurs, l’avantage de provoquer moins d’hématomes de la paroi, mais ont pour inconvénients la nécessité de disposer d’un abord veineux et le risque de réaction anaphylactique ou de surcharge volémique.
En pratique, le protocole retenu est le suivant : une injection test de 20 ml de Promit® (dextran 1) pour éviter une réaction anaphylactique [58], puis une perfusion de 500 ml de dextran 70 au moment de l’induction, suivie d’une nouvelle perfusion de 500 ml 2 à 4 heures après l’intervention, enfin 500 ml le lendemain. Pour les risques majeurs, l’administration est renouvelée jusqu’aux 3e et 5e jours postopératoires.
Héparines
Héparine non fractionnée
L’HNF, par administration sous-cutanée, a été pendant longtemps la méthode la plus utilisée comme moyen de prévention des TVP.
Trois protocoles sont proposés.
Pour les chirurgies générale, viscérale et gynécologique, à risque faible ou modéré, l’HNF est employée à la dose fixe de 5 000 UI et injectée par voie sous-cutanée 2 h avant l’intervention. Cette injection de 5 000 UI est renouvelée après l’intervention 2 fois par jour pendant une semaine. La méta-analyse de Collins [17] confirme une réduction de 65 % du risque thrombogène mais au prix d’une augmentation du nombre des hématomes de paroi. Il faut rappeler que cette prévention ne doit pas être appliquée au sujet jeune (moins de 40 ans), sans facteur de risque particulier et pour une chirurgie courte (inférieure à 30 min) car le rapport bénéfice/risque est trop faible.Pour la chirurgie générale, lorsqu’elle s’adresse à un sujet à risque élevé ou pour une chirurgie du cancer, 3 injections de 5 000 UI/j, au lieu de 2, sont préconisées après l’intervention.Pour la chirurgie orthopédique, l’HNF est utilisée à doses adaptées, c’està- dire, 3 injections par jour à la dose qui permet d’obtenir, à la 6e heure après l’injection, un temps de céphaline activé (TCA) égal, pour le malade, à 1,2 fois celui du témoin.
Mais quelques points sont toujours incertains : l’efficacité de la prophylaxie des TVP, au cours de la chirurgie pour prothèse totale du genou par l’HNF [87, 88] et l’absence de complication hémorragique [14, 73] ne sont pas des faits définitivement établis ; l’héparinothérapie préventive était jusqu’à présent maintenue jusqu’à déambulation active ; la fréquence des thrombopénies induites par l’héparine (TIH) devrait inciter à des relais très précoces par les antivitamines K : du 1er au 4e jour postopératoire.
Héparines de bas poids moléculaire (HBPM)
Elles ont pour avantage une durée de vie plus longue que l’HNF,ce qui permet une réduction du nombre de ses injections. Trois produits sont actuellement commercialisés en France : Fraxiparine®, Lovénox® et Fragmine®. Pour leurusage, il faut retenir que ces HBPM sont des produits différents dont les activitésne sont pas strictement identiques : leur administration répond donc à des protocoles proposés, après validation, par leurs fabricants.
Pour la chirurgie à faible risque, viscérale ou gynécologique, toutes les études concluent, pour la prévention de la TVP, qu’une injection par jour d’une HBPM dans la période postopératoire est au moins aussi efficace que l’HNF en 2 ou 3 injections par jour. Pour la prévention de l’embolie pulmonaire, cette efficacité est probable, mais pas définitivement démontrée, car un nombre considérable de sujets doit être étudié pour révéler une différence significative lorsqu’il s’agit d’une complication rare (4 sur 2 251 dans la série placebo de Pezzuoli [71]).
Pour la chirurgie à risque élevé, orthopédique et traumatologique, tous les résultats actuellement disponibles confirment aussi une efficacité au moins égale à celle de l’HNF au cours des interventions pour prothèse totale de hanche [36].
Pour les autres interventions, telles que la mise en place de prothèse totale de genou ou l’orthopédie traumatique, une conclusion définitive n’est pas encore possible en raison du nombre insuffisant de travaux [53]. La dose de l’HBPM est calculée en fonction du poids du malade, mais, en pratique, la moyenne journalière efficace est de l’ordre de 5 000 UI pour toutes les HBPM. Pour la Fraxiparine®, cette dose est environ de 3 000 UI les trois premiers jours, puis augmentée pour atteindre 4 à 5 000 UI les jours suivants. Des doses supérieures créent un risque hémorragique.
En pratique, la prophylaxie débute 2 à 12 heures avant l’intervention, mais aucun travail ne permet de préciser la durée totale de cette prévention.En effet, la diminution probable de l’incidence des thrombopénies induites par les HBPM comparées à celle des thrombopénies dues à l’HNF, pourrait inciter à des relais moins précoces par les antivitamines K (AVK).
Cependant, pour les malades à risque hémorragique et thrombotique (intervention neurochirurgicale récente ou thrombopénie), les HBPM peuvent être administrées plus longtemps. En théorie, les contrôles biologiques, à l’exception de la numération plaquettaire, ne sont utiles ni pour les HNF, ni pour les HBPM. Mais pour les sujets dont le poids est très différent de la normale ou en cas d’insuffisance rénale, le contrôle est nécessaire. Pour l’HNF, il s’agit d’un dosage d’activité anti-IIa dont le taux ne doit pas dépasser 0,1 UI/ml à la 6e heure après l’injection et pour les HBPM, d’un dosage d’activité anti-Xa pour lequel le taux doit être compris entre 0,25 et 0,45 UI/ml à la 4e heure après l’injection. La détermination bihebdomadaire du taux de plaquettes est obligatoire quel que soit le type d’héparine.
L’emploi des HNF chez la femme enceinte est possible. Il est en cours d’évaluation pour les HBPM, avec des résultats préliminaires favorables.
Héparinoïdes
Seul le polysulfate de pentosane (Hémoclar®) est commercialisé en France. Mais, en raison du petit nombre d’études récentes [2], ce médicament ne peut être recommandé, pour le moment, comme moyen de prévention des TVP.
Antivitamines K (AVK)
Les AVK représentent la classe de médicaments la plus anciennement utilisée pourla prévention des TVP.Supplantées par les héparines, elles sont à nouveau hémorragique [4, 28].Ainsi, dans l’étude de Francis [28],
le malade absorbe, 4 à 10 jours avant l’intervention, une faible quantité de Coumadine® (1 à 4 mg) afin d’obtenir une hypocoagulabilité à peine perceptible dans les tests de contrôle biologique, puis, dans la période postopératoire, des doses qui provoquent une hypocoagulabilité modérée.
Cependant, les études sont peu nombreuses et ne portent pas sur tous les types de chirurgie. Dans ces conditions, il n’est pas encore possible de généraliser leur emploi. Il est évident que si l’efficacité et la sécurité s’avéraient égales à celles des héparines, le coût et la facilité de leur utilisation (en dehors de l’urgence) seraient des arguments décisifs en leur faveur.
Aspirine
Parmi les médicaments antiplaquettaires,
l’aspirine, utilisée seule ou associée au dipyridamole, est celui qui a fait l’objet du plus grand nombre d’études (Groupe coopératif, Oxford 23 et 25 mars 1990). Les résultats montrent qu’à la dose quotidienne de 1 g/j, l’aspirine réduit le risque de thrombose dans tous les typesde chirurgie. Mais, si cette efficacité est égale à celle de l’HNF pour la prévention de l’embolie pulmonaire, elle est 2 fois moindre pour la prévention de la phlébite.
Des incertitudes subsistent en ce qui concerne : le risque hémorragique réel, l’efficacité des doses faibles d’aspirine, la comparaison avec les HBPM. Pour ces raisons, son utilisation comme moyen de prévention primaire ne peut être acceptée, mais son emploi comme relais de l’héparine devrait être étudié.
Autres médicaments associés
La dihydroergotamine, utilisée dans quelques séries, ne peut être recommandée. A l’inverse, de nouveaux produits, comme les concentrés d’antithrombine III [29, 30], sont en cours d’évaluation.
Coûts de la prévention
Afin de déterminer la conduite à tenir,
il faut comparer l’efficacité des différentes techniques à leur coût. Celui-ci doit prendre en compte le prix de l’évaluation du risque, des mesures préventives et de leur contrôle.
Le dépistage biologique de la prédisposition à la thrombose, incertain et cher, doit être abandonné. Au contraire, il est prouvé que globalement la prévention systématique de la TVP postopératoire est économiquement justifiée [18].
Cependant, des études comparant les coûts de chacune des techniques de prévention ne sont pas disponibles en France et celles réalisées à l’étranger sont difficilement transposables. Ainsi, les travaux analysés [18] ne permettent pas d’affirmer que l’utilisation des HBPM est plus économique que celles de l’HNF.Enfin, aucune réponse n’est définitivement donnée sur la nature et le coût d’une surveillance de l’efficacité de la prévention, voire sur la nécessité de cette surveillance (écho-Doppler, phlébographie, D-dimères…) [57].
Conduite à tenir
De façon schématique, une évaluation fondée sur la somme des facteurs de risque précédemment évoqués, permet de retenir trois situations : le risque est considéré comme absent, modéré ou élevé.
Absence probable de risque
Aucune prévention par des médicaments ne doit être proposée et, sauf circonstances exceptionnelles (immobilisation de courte durée non prévue), la contention élastique n’est pas non plus justifiée.
Risque modéré
Les méthodes physiques doivent être employées dans tous les cas, et la contention élastique est le moyen le plus facilement disponible.
Le choix entre HNF et HBPM est décidé plus en fonction de la facilité d’emploi que du coût. Si l’HNF est choisie, une injection sous-cutanée de 5 000 UI est faite 2 heures avant l’intervention, puis des injections de 5 000 UI, 2 fois par jour. Si l’HBPM est employée, l’injection initiale est celle préconisée par le fabricant (autorisation de mise sur le marché), répétée ensuite tous les jours. Il faut rappeler que les anesthésies rachidiennes lombaires sont soumises aux conditions émises plus haut et en particulier que l’injection préopératoire d’héparine est supprimée.
Risque élevé
Les méthodes physiques sont toujours recommandées et la contention intermittente doit être envisagée, malgré la difficulté de son utilisation.
Pour l’HNF, des doses de 5 000 UI administrées 3 fois par jour ou adaptées au résultat biologique, sont utilisées. Pour les HBPM, il faut appliquer le protocole proposé par le fabricant.
Pour le moment, les AVK ne peuvent être employées, en première intention que dans la chirurgie de la hanche. Des doses faibles d’une AVK sont ajustées pour obtenir, avant l’intervention, un temps de Quick, tel que l'” International normalized ratio ” (INR) soit de 1,5 (taux de prothrombine (TP) = 70 %) et dans la période postopératoire un INR de 2 à 3 (TP = 35 à 45 %). Ces résultats sont atteints, par exemple, avec des doses de Coumadine® de 1 à 4 mg par jour. Pour les autres interventions orthopédiques, les AVK peuvent être utilisées comme relais de l’héparine, la zone d’efficacité biologique souhaitée est telle que l’INR soit compris entre 2 et 3.