Traitement des hypophosphorémies

La nécessité de la correction de l’hypophosphorémie est fonction des circonstances d’installation, de la rapidité de celle-ci et de son importance.Ainsi de nombreux épisodes d’hypophosphorémie modérée postopératoires ou secondaires à une agression
vont régresser spontanément avec le retour à un régime alimentaire équilibré. Il n’en est pas de même des carences profondes, de survenue brutale ou intéressant des terrains déficitaires qui requièrent une correction rapide et intense.
La phosphorémie étant un reflet assez infidèle du pool phosphoré total ainsi que de la profondeur du déficit, les quantités nécessaires sont difficilement appréciables.
MOYENS DE CORRECTION
Différentes préparations pharmaceutiques permettent un apport phosphoré soit sous formes injectables, soit inclus dans des solutés lipidiques de nutrition parentérale (phospholipides) et dans des préparations pour nutrition entérale (tableau I).
Chez les patients atteints de fuite urinaire de phosphore, la supplémentation orale est le plus souvent associée à l’apport de vitamine D.
Une autre approche thérapeutique consiste en l’administration de dipyridamole (300 mg.j-1 en quatre prises) qui réduit la fuite urinaire [20].
TRAITEMENT PRÉVENTIF
Lors d’une alimentation parentérale exclusive et, a fortiori, lors de situations d’agression ou chez des patients à fort risque carentiel, l’apport doit être systématique.
Lors d’une nutrition parentérale n’incluant pas d’apport phosphoré, un complément de 13,6 mmol/1 000 calories glucidiques semble réduire l’incidence de cette carence, une dose de 20 mmol/1 000 calories semble adaptée aux patients hypophosphorémiques modérés avant le début de la nutrition parentérale (intérêt d’un dosage de référence lors de l’admission) [30].
Lors de pathologies génératrices d’hypophosphorémies, un apport plus important peut être nécessaire, ainsi un complément de 0,5 mmol.kg-1.j-1 a été proposé chez le polytraumatisé [10].
HYPOPHOSPHORÉMIES SÉVÈRES
L’hypophosphorémie sévère, inférieure à 0,32 mmol.L-1 doit être traitée de préférence par voie intraveineuse [14].
En effet le traitement per os provoque fréquemment des troubles digestifs,
la quantité réellement absorbée est mal connue, le contexte étiologique peut rendre la correction urgente et la voie entérale mal adaptée.Il est difficile de déterminer à l’avance la posologie nécessaire car le degré d’hypophosphorémie dépend en grande partie des mouvements transcellulaires.Une dose de 0,25 mmol.kg-1 à perfuser en 4 heurespeut être proposée en cas d’hypophosphorémie asymptomatique et comprise entre 0,16 et 0,32 mmol.L-1, cette posologie s’élevant à 0,5 mmol.kg-1 si la phosphorémie est inférieure à 0,16 mmol.L-1 ou en présence de signes cliniques de gravité [14, 25].
Dans tous les cas, la surveillance de l’ionogramme est indispensable afin d’adapter les doses en fonction de l’évolution de la phosphorémie.
La perfusion de phosphore doit être proscrite en cas d’hypercalcémie associée car la correction brutale de l’hypophosphorémie pourrait entraîner la précipitation des
sels phosphocalciques. Chez un patient normocalcémique, le phosphore peut induire une baisse du calcium ionisé et donc une crise de tétanie, de même la magnésémie et la kaliémie peuvent se trouver abaissées. Dans tous les cas, il faut savoir que les sels de phosphore apportent également des quantités élevées d’électrolytes, de potassium le plus souvent.
Conclusion
Depuis 1977, date à laquelle Knochel [15] exposa les bases de la physiopathologie et les aspects cliniques des hypophosphorémies sévères, de nombreux travaux ont permis de confirmer l’incidence de cette anomalie biologique au sein des unités de réanimation. Cette déplétion, rare et modérée dans la population générale hospitalisée, se révèle être beaucoup plus fréquente en réanimation où ses conséquences peuvent devenir alarmantes. La réalisation systématique d’un dosage lors de l’admission du patient paraît des plus souhaitable afin de mieux détecter et de mieux corriger ce trouble.
Points essentiels
· Le phosphore est le principal anion intracellulaire, 1 % seulement du pool phosphoré se trouve au sein des liquides extracellulaires, la phosphatémie mesurée n’est donc qu’un reflet très infidèle du phosphore total. · Le phosphore joue un rôle essentiel dans le métabolisme énergétique cellulaire (glycolyse, formation de l’ATP), dans la structure des membranes cellulaires, dans l’affinité de l’hémoglobine pour l’oxygène (synthèse du 2,3 DPG). · L’hypophosphorémie peut être consécutive à trois mécanismes : transfert intracellulaire, augmentation des pertes urinaires, défaut d’absorption intestinale. · L’étude du métabolisme du phosphore doit être associée à celle du calcium. · Fréquentes en réanimation et en phase postopératoire, les hypophosphorémies sont favorisées par les situations d’agression et les apports nutritionnels exclusivement parentéraux. · Souvent modéré et transitoire, le déficit en phosphore peut être beaucoup plus sévère chez des patients présentant des conditions de déplétion préalable. · La majorité des symptômes des hypophosphatémies est la conséquence d’une baisse du contenu cellulaire en ATP et d’une réduction de la quantité d’oxygène délivrée aux tissus. · Les troubles neuromusculaires et la survenue d’une défaillance cardiaque sont les manifestations cliniques principales. · Une hémolyse et un défaut d’activité des polynucléaires représentent les principales manifestations biologiques. · Le traitement curatif des formes sévères (< à 0,40 mmol.L-1) est réalisé par voie intraveineuse avec surveillance de la magnésémie, de la kaliémie et de la calcémie. |
Références
[1] Aubier M, Murciano D, Lecocguic Y, Viires N, Jacquens Y, Squara P et al. Effect of hypophosphatemia on diaphragmatic contractility in patients whith acute respiratory failure. N Engl J Med 1985 ; 313 : 420-424
[2] Auboyer C, Molliex S. Hypophosphorémies en réanimation. In : Conférences d’actualisation. 37e congrès national d’anesthésie et de réanimation (Paris, 1995). Paris : SFARMasson, 1995 : 329-342
[3] Barak V, Schwartz A, Kalickman I, Nisman B, Gurman G, Shoenfeld Y. Prevalence of hypophosphatemia in sepsis and infection: the role of cytokines. Am J Med 1998 ; 104 : 40-47
[4] BennetWM,GilbertDN,HoughtonD,PorterGA.Gentamicin nephrotoxicity- morphologic and pharmacologic features. West J Med 1977 ; 126 : 65-68
[5] Brautbar N, Leibovici H, Massry SG. On the mechanism of hypophosphatemia during acute hyperventilation: evidence for increased muscle glycolysis. Miner Electrolyte Metab 1983 ; 9 : 45-50
[6] Brown GR, Greenwood JK. Drug- and nutrition-induced hypophosphatemia : mechanisms and relevance in the critically ill. Ann Pharmacother 1994 ; 28 : 626-632
[7] Camp MA, Allon M.
Severe hypophosphatemia in hospitalized patients.MinerElectrolyteMetab1990;16:365-368
[8] Clerbaux T, Detry B, Reynaert M, Kreuzer F, Frans A. Reestimation of the effects of inorganic phosphatesonthe equilibrium between oxygen and hemoglobin. Intensive Care Med 1992 ; 18 : 222-225
[9] Craddock PR, Yawata Y, Vansanten L, Gilberstadt S, Silvis S, Jacob HS. Acquired phagocyte dysfunction. A complication of the hypophosphatemia of parenteral hyperalimentation.N Engl J Med 1974 ; 290 : 1403-1407
[10] DailyWH,TonnesenAS, Allen SJ.Hypophosphatemia-Incidence, etiology and
prevention in the trauma patient. Crit Care Med 1990 ; 18 : 1210-1214
[11] Drop LJ. Ionized calcium, the heart and hemodynamic function. Anesth Analg 1985 ; 64 : 432-451
[12] Fisher J, Magid N, Kallman C, Fanucchi M, Klein L, McCarthy D et al. Respiratory illness and hypophosphatemia. Chest 1983 ; 83 : 504-508
[13] Halevy J, Bulvik S. Severe hypophosphatemia in hospitalized patients. Arch Intern Med 1988 ; 148 : 153-155
[14] Kingston M, Al-Siba’i MB. Treatment of severe hypophosphatemia. Crit Care Med 1985 ; 13 : 16-18
[15] Knochel JP.
The pathophysiology and clinical characteristics of severe hypophosphatemia. Arch Intern Med 1977 ; 137 : 203-220
[16] Laaban JP, Grateau G, Psychoyos I, LaromiguièreM,Vuong TK, Rochemaure J. Hypophosphatemia induced by mechanical ventilation in patients with chronic obstructive pulmonary disease. Crit Care Med 1989 ; 17 : 1115-1120
[17] Lewis JF, Hodsman AB, Driedger AA, Thomson RT, McFadden RG. Hypophosphatemia and respiratory failure: prolonged abnormal energy metabolism demonstrated by nuclear magnetic resonance spectroscopy. Am J Med 1987 ; 83 : 1139-1143
[18] Loven L, Larsson J, Lennquist S, Liljedahl SO. Hypophosphatemia and muscle phosphate metabolism in severely injured patients. Acta Chir Scand 1983 ; 149 : 743-749
[19] Massara F, Cammani F. Propranolol block of adrenalineinduced hypophosphatemia in man. Clin Sci 1970 ; 38 :245-250
[20] Michaut P, Prié D, Amiel C, Friedlander G. New role for an old drug: dipyridamole for renal phosphate leak. N Engl J Med 1994 ; 331 : 58-59
[21] Montanari A, Borghi L, Curti A, Mergoni M, Sani E, EliaGet al. Skeletal muscle cell abnormalities in acute hypophosphatemia during total parenteral nutrition. Miner Electrolyte Metab 1984 ; 10 : 52-57
[22] Mostellar ME, Tuttle EP. Effects of alkalosis on plasma concentration and urinary excretion of inorganic phosphate in man. J Clin Invest 1964 ; 43 : 138-145
[23] O’ConnorLR, WheelerWS,Bethone JE.
Effect of hypophosphatemiaonmyocardial performance in man.NEnglJMed 1977 ; 297 : 901-903
[24] Ognibene A, Ciniglio R, Greifenstein A, Jarjoura D, Cugino A, Blend D et al. Ventricular tachycardia in acute myocardial infarction: the role of hypophosphatemia. South Med J 1994 ; 87 : 65-69
[25] Perreault MM, Ostrop NJ, Tierney MG. Efficacy and safety of intravenous phosphate replacement in critically ill patients. Ann Pharmacother 1997 ; 31 : 683-688
[26] Pitts RF. Physiology of the kidneyandbodyfluids.Chicago: Year Book Medical Publishers, 1974
[27] Planas RF, McBrayer RH, Koen PA.
Effects of hypophosphatemiaonpulmonarymuscleperformance. AdvExpMed Biol 1982 ; 151 : 283-290
[28] Polderman KH,
Bloemers FW, Peerdeman SM, Girbes AR. Hypomagnesemiaandhypophosphatemiaat admission in patients with severe head injury. Crit Care Med 2000 ; 28 : 2022-2025
[29] Stein JH, SmithWO,Ginn HE. Hypophosphatemia in acute alcoholism. Am J Med Sci 1966 ; 252 : 78-83
[30] Thompson JS, Hodges RE. Preventing hypophosphatemia during total parenteral nutrition. J Parenter Enteral Nutr 1984 ; 8 : 137-139
[31] Weisinger JR, Bellorin-Font E. Magnesium and phosphorus. Lancet 1998 ; 352 : 391-396
[32] Yawata Y, Hebbel RP, Silvis S, Howe R, Jacob H. Blood cell abnormalities complicating the hypophosphatemia of hyperalimentation: erythrocyte and platelet ATP deficiency associated with hemolytic anemia and bleeding in hyperalimented dogs. J Lab Clin Med 1974 ; 84 : 643-653
[33] Yu GC, Lee DB. Clinical disorders of phosphorus metabolism. West J Med 1987 ; 147 : 569-576